Vendu à 250 000 exemplaires, traduite dans 15 langues… La série Aya de Yopougon…

Vendu à 250 000 exemplaires, traduite dans 15 langues… La série Aya de Yopougon…

…dont le premier tome est paru en 2005, est une formidable success story éditoriale. Marguerite Abouet et Clément Oubrerie ne s’attendaient pas à un tel accueil en l’écrivant. Avec sa galerie de personnages truculents qui nous plongent au coeur de Yopougon, quartier populaire de la capitale ivoirienne, cette bande dessinée a séduit un large public européen et africain. Elle a aussi changé la vie de ses deux auteurs. Quatre ans plus tard, alors que le succès ne faiblit pas et que le cinquième tome paraît, le duo complice Abouet-Oubrerie raconte l’aventure.

Marguerite Abouet et Clément Oubrerie

Comment vous êtes-vous rencontrés ?

Clément Oubrerie : Dans un restaurant chinois à Belleville… en 1996 ou 97. On s’est connu par amis communs.

Que faisiez-vous avant de travailler sur le premier tome d’Aya ?

C.O : J’avais fait des illustrations pour des livres de jeunesse et travaillé dans la pub aux Etats-Unis. En rentrant en France, j’ai travaillé dans une société d’infographie pour la presse. Puis, en 2001, j’ai créé un studio d’animation, La Station.

Marguerite Oubrerie : Moi, j’étais assistante juridique. Je n’avais jamais publié !

Aya, c’est donc une première en BD pour tous les deux ?

M. A. : Oui, et pour moi, c’était carrément une première dans l’édition. La BD convenait bien à l’histoire d’Aya.

C. O : Ca aurait pu être du théâtre aussi. Un groupe d’amateurs a d’ailleurs monté deux pièces au Mans. J’attends avec impatience que quelqu’un s’y mette sérieusement !

M. A : Nous avons aussi eu plusieurs propositions de films, avec des acteurs. En ce moment, on monte un film d’animation à partir des deux premiers tomes d’Aya. La sortie est prévue pour 2011.

Comment travaillez-vous ensemble ?

C. O. : On ne travaille presque jamais ensemble, en fait ! Marguerite écrit dans son coin, ensuite je dessine. Pour le premier tome, j’ai proposé à Marguerite d’écrire directement dans les cases, non pas pour le dessin mais pour le rythme.

M. A. : J’interviens très peu sur le dessin. Parfois je corrige des détails… les vêtements, des choses comme ça.

C. O. : On travaille assez rapidement ensemble. Marguerite met deux mois pour écrire un album, et je le dessine en trois mois. En fait, j’aurais envie de refaire tous les albums, surtout le premier…

M. A. : Ah non, le premier, c’est mon préféré !

Qu’est-ce qui a le plus changé dans votre travail depuis le premier tome ?

C. O. : Le plus dur a été de démarrer, de créer les personnages. J’ai dessiné le premier album trois fois, alors que maintenant le premier dessin suffit.

M. A. : Les thèmes sont devenus plus variés, avec des sujets plus sombres. Le dessin a changé aussi. Il y a plus de détails, les traits d’Aya sont plus fins.

Quels sont les lecteurs d’Aya en France ?

M. A. : Ils sont très variés ! Ce ne sont pas forcément des fans de BD. Au début, on avait peu de lecteurs noirs. Je n’en voyais jamais aux dédicaces. Petit à petit, ils ont trouvé Aya. Aujourd’hui, des libraires me racontent qu’avec Aya, ils voient un public tout à fait nouveau, des mamans maliennes par exemple qui ne sont jamais entrées dans une librairie.

Dans le nouveau tome d’Aya comme dans le précédent, vous parlez beaucoup de l’immigration. Comment ça s’est passé pour vous, Marguerite ?

M. A. : Contrairement à Innocent qui cherche une vie meilleure en France, j’y suis arrivée sans l’avoir choisi. Mes parents m’ont envoyée chez un grand-oncle avec mon frère quand j’avais 12 ans. Je pensais que j’allais revenir bientôt… Ce n’est qu’une fois en France que j’ai compris que ce ne serait pas de si tôt. Au départ, ça s’est plutôt bien passé. Je me suis dit que c’était à moi de me faire accepter par les autres. Les problèmes sont venus plus tard. Mon grand-oncle est rentré au pays quand j’avais 16 ans, sans avoir su nous régulariser à temps. Je me suis retrouvée sans-papiers, mais je n’étais pas non plus expulsable. Je n’ai réussi à avoir mes papiers qu’en 1998. J’avais 27 ans. Pendant tout ce temps, je faisais des petits boulots : nounous pour triplés, aide pour personnes âgées… Mais je n’étais pas dans la misère. Je me disais que ça allait changer. J’avais ma chambre de bonne, mes amis. C’est là que j’ai commencé à écrire. J’avais une vieille télé qui un jour a explosé, et je me suis mise à écrire, pour passer le temps.

Qu’est-ce que vous pensez de l’émergence de la « question noire » en France ?

M. A. : Je me rends compte que, parfois, on attend de moi des choses très formatées. J’ai discuté de possibles scénarios pour la télé, et on me proposait une histoire de banlieue, avec la maman africaine et ses huit enfants. Moi, je connais surtout des femmes trentenaires, sans enfants ou avec un enfant unique, habitant à Paris… J’aime raconter des histoires, c’est tout. Pas forcément des « histoires de Noirs ».

C. O. : C’est ce qu’on essaie de faire avec Aya. Qu’au bout de trois pages, les gens oublient que c’est une histoire avec des Noirs, qu’ils lisent juste une histoire. La société française est encore peu évoluée sur cette question. Il y a beaucoup de travail à faire dans les médias.

M. A. : On nous dit que les Français ne sont pas prêts à avoir un président noir alors qu’ils sont capables de regarder des séries télé américaines avec uniquement des Noirs. C’est vraiment prendre les Français pour des cons !

Votre bande dessinée rencontre aussi un grand succès en Côte d’Ivoire…

M. A. : Oui, ça marche bien aussi. Aya est parmi les meilleures ventes de la Librairie de France à Abidjan. Gallimard a fait un tirage spécial de 2000 exemplaires des trois premiers tomes pour le marché africain, avec une couverture souple mais la même qualité de couleurs à l’intérieur. Ils sont vendus 4000 francs CFA. C’est très important pour moi que le livre puisse être lu en Afrique. J’étais allée dédicacer le premier tome au festival Cocobulles à Abidjan : les jeunes faisaient la queue avec juste une feuille de papier… Cela m’a mise mal à l’aise. En rentrant à Paris, j’ai proposé cette édition spéciale à Gallimard. Aujourd’hui, ce tirage est épuisé. Les Ivoiriens sont fiers de leur sœur ! Les histoires, ils les connaissent, mais ils sont fiers que ce soit une Ivoirienne qui les écrive. Un nouveau tirage en couverture souple des tomes 4 et 5 est prévu pour bientôt.

L’accès au livre en Afrique est un sujet qui vous tient à cœur…

M. A. : Oui. Je ne peux pas amener le livre dans tous les foyers africains mais je peux créer des endroits où les enfants peuvent avoir accès à la lecture. C’est le but de l’association Des livres pour tous [1] que j’ai fondé en 2007 et qui vient d’inaugurer sa première bibliothèque jeunesse à Adjamé, dans le quartier le plus chaud d’Abidjan !

Comment fonctionne cette bibliothèque ?

M. A. : Nous avons demandé au maire de mettre un local à notre disposition. Nous prenons le reste en charge : l’aménagement, le mobilier, les livres, le salaire d’un bibliothécaire et d’un animateur… Les éditeurs nous donne accès à une sélection de leur catalogue pour choisir des livres gratuitement. Nous achetons aussi des livres africains sur place. Pour démarrer, nous avons bénéficié d’une aide du Ministère français des Affaires étrangères. Un budget de 10 000 euros suffit pour lancer un nouveau projet de bibliothèque : la prochaine ouvrira au Sénégal. Les particuliers peuvent nous aider en adhérant à l’association. Bienvenue à tous les lecteurs d’Afriscope !

Quels autres projets avez-vous en cours ?

C. O. : Le film d’Aya !

M. A. : J’ai écrit une autre BD, Bienvenue. Ca se passe à Paris, avec une héroïne blanche, histoire de montrer qu’on a tous les mêmes problèmes, peu importe la couleur ! Ce sera avec un autre dessinateur et ça sortira en 2010. Il y a aussi l’histoire d’Akissi, la petite sœur d’Aya, en BD, avec un autre dessinateur… Avec Clément, on voudrait écrire les aventure du commissaire Kouamé ! Le problème, c’est qu’on n’a pas le temps de tout faire.

Et Aya, vous la voyez évoluer jusqu’à quel âge ?

M.A. : Oh, 75 ans… (rires) Je pense qu’on va faire un sixième tome et puis laisser reposer tout ce beau monde. Et pourquoi pas reprendre ensuite, en leur donnant cinq ans de plus, par exemple !

« Fin des années soixante-dix, à Yopougon, quartier populaire d’Abidjan rebaptisé Yop City « pour faire comme dans film américain », vivent Aya et ses deux amies, Adjoua et Bintou. Elles ont dix-neuf ans, l’âge où tout est possible, mais si Aya souhaite faire des études, les deux autres sont plus versées dans les soirées au maquis et la chasse au mari. Autour de ce trio choc on croise des personnages aux destins divers, comme Ignace, le père volage d’Aya qui jongle entre plusieurs « bureaux », Moussa, le fils du puissant Bonaventure Sissoko, qui compte sur sa Toyota pour emballer les filles, Fanta et Koro, les mamans qui s’efforcent de protéger leurs filles ou Grégoire « le parisien », qui flambe son magot au fameux hôtel Ivoire… »

Un long-métrage est en préparation, qui sortira au printemps 2012

Meilleur premier album Angoulème 2006.
Prix BD du Point 2007
Prix Tour d’Ivoire 2007
Prix de la Guadeloupe 2007
Prix du Margouillat 2007
Sélection officielle Eisner Awards 2008
2008 Children’s Africana Book Award : Best Book
2008 Glyph Comic Awards : Rising star et Best reprint publication

Le site Internet : http://www.oubrerie.net/p/aya.html

Thierry BARBAUT
Thierry Barbaut - Directeur des financements solidaires chez 42 www.42.fr - Spécialiste en nouvelles technologies et numérique. Montage de programmes et de projets à impact ou les technologies et l'innovation agissent en levier : santé, éducation, agriculture, énergie, eau, entrepreneuriat, villes durables et protection de l'environnement.