L’UE et la Chine devraient coopérer pour réduire l’utilisation du charbon en Afrique

Le charbon en Afrique
Le charbon en Afrique

Malgré ses effets nocifs bien connus sur l’environnement et le climat, le charbon reste une énergie très utilisée en Europe et dans le monde. L’Union Européenne pourrait faire plus pour diminuer son utilisation en Europe et en Afrique.

Le charbon sert à produire plus du tiers de l’électricité dans le monde.

Au contraire de la France, où le charbon est considéré comme une énergie du passé, dans beaucoup de pays du monde, le charbon reste une énergie d’avenir. Dans son numéro de février 2023, la revue Questions Internationales nous rappelle les réalités. La production mondiale de charbon a doublé depuis 2000 et se situe actuellement aux environs de 8 milliards de tonnes par an.

Le charbon a presque disparu en Europe occidentale, mais il est très présent en Europe de l’Est, notamment en Pologne, en Allemagne ou en République Tchèque. Dans le secteur Asie-Pacifique, la production de charbon a été multipliée par 4 en 30 ans. Les plus gros producteurs et consommateurs de charbon sont la Chine et l’’Inde, mais des pays comme le Vietnam ou la Mongolie ont beaucoup développé leur production, le record étant détenu par l’Indonésie qui ne produisait pas de charbon avant 2000 et qui est devenu en 2021 le premier exportateur mondial avec une production de 600 millions de tonnes. L’Australie est passée de 200 millions de tonnes de charbon dans les années 90 à 500 millions de tonnes actuellement, ce qui fait du charbon un pilier de son économie. Les USA ont produit 611 millions de tonnes en 2022. Pour les deux tiers, ce charbon sert à produire de l’électricité.

Les réserves connues de charbon permettraient 134 ans de production au rythme actuel. C’est beaucoup plus que pour le pétrole ou le gaz. On peut craindre que le charbon serve dans l’avenir à compenser la  baisse du pétrole et du gaz, d’autant que le kWh produit en centrale thermique au charbon est très compétitif, même avec du charbon importé.

En 1989, 37,5 % de la production d’électricité dans le monde venaient des centrales à charbon. En 2021, cette part a légèrement diminué à 36 %, mais comme la production totale d’électricité a été multipliée par 2,5, la production d’électricité à partir du charbon a plus que doublé en 30 ans. Il se construit actuellement beaucoup de centrales thermiques à charbon dans le monde.

Avec le charbon, le monde n’est certainement pas sur la bonne trajectoire pour ralentir le changement climatique et on doit se poser la question des possibilités d’action de l’Union Européenne pour infléchir cette tendance. Dans ce domaine la situation varie selon les continents, mais l’Europe, qui ne donne pas actuellement le bon exemple, a un rôle important à jouer chez elle et en Afrique.

Le charbon en Asie-Pacifique et en Amérique

Le continent qui produit et utilise le plus de charbon dans le monde est l’Asie-Pacifique, essentiellement en Chine et en Inde. Ces deux pays, qui représentent 2,8 milliards d’habitants, sont les deux pays du monde qui produisent et qui consomment le plus de charbon, mais ils sont aussi des champions du monde du développement des énergies renouvelables et de l’énergie nucléaire. La Chine est le premier producteur et installateur mondial de panneaux photovoltaïques. Elle dispose de 54 réacteurs nucléaires et en a 20 en construction. L’Inde a 22 réacteurs nucléaires en fonctionnement et 7 en construction.  En 2022, l’Inde a ravi à la Chine le record de la plus grande centrale solaire du monde avec la centrale de Bhadla d’une superficie de 5700 ha et d’une puissance de 2245 MW, équivalente à 1,4 EPR de Flamanville. L’Inde et encore plus la Chine ont développé des grands barrages hydro-électriques sur les fleuves qui descendent de l’Himalaya. Ces deux pays ne pourront pas se passer du charbon à court ou même moyen terme, mais essaient de développer au maximum les alternatives. D’autres pays d’Asie Pacifique dépendent aussi du charbon pour plus d’un quart de leur production d’électricité, l’Australie, le Cambodge, la Corée du Sud, le Japon, le Kazakhstan, la Mongolie, les Philippines et le Vietnam.

En Amérique, un seul pays produit plus du tiers de son électricité à partir du charbon : les États-Unis. C’est le pays le plus peuplé d’Amérique et celui qui dispose des plus grandes réserves mondiales de charbon. C’est aussi le pays qui produit le plus d’électricité nucléaire au monde avec 99 réacteurs. L’exploitation des schistes bitumineux a fait des États-Unis un grand producteur de pétrole et a ralenti le développement des centrales nucléaires, mais, depuis quelques années, les États-Unis étudient de nouveaux projets de réacteurs nucléaires. En outre, en août 2022, les États-Unis ont promulgué l’Inflation Réduction Act qui affecte 370 milliards de dollars au soutien des industries vertes. Cela devrait permettre de diminuer l’utilisation du charbon. Dans les autres pays d’Amérique, le charbon représente moins de 5 % de la production d’électricité.

Le Charbon en Europe

L’Europe n’est pas exemplaire. La Pologne y détient le record européen de production d’électricité à partir du charbon (plus de 80 %), mais l’Allemagne, la Bulgarie, le Danemark, la Grèce, les Pays Bas, le Portugal, la République Tchèque et la Slovénie utilisent le charbon pour plus d’un quart de leur production électrique, parfois pour près de la moitié comme en Allemagne. La crise du gaz due à la guerre en Ukraine a entrainé la réouverture de centrales à charbon dans plusieurs pays, y compris en France, ce qui ne permet pas à l’Europe de donner des leçons aux reste du monde.

Pour sortir du charbon, plusieurs pays d’Europe, comme l’Allemagne ou le Danemark, ont beaucoup développé la production électrique à partir de l’éolien ou du solaire, mais comme ces énergies sont intermittentes, il faut disposer en plus d’une production d’électricité plus permanente et modulable, comme l’hydraulique ou le nucléaire.

L’Europe est profondément divisée sur l’énergie nucléaire. Après le catastrophe de Fukushima de 2011, plusieurs pays d’Europe ont décidé d’abandonner le nucléaire, notamment l’Allemagne et la Lituanie. La part de l’électricité d’origine nucléaire, qui était de 30 % dans l’U.E. en 2010, est descendue à 25 %. Des grands pays comme l’Italie ou la Pologne n’ont aucune centrale nucléaire.  Par contre, la Finlande a fait le choix du nucléaire pour se passer du charbon. La France a décidé en 2012 de diminuer sa production d’énergie nucléaire et a fermé en 2020 la centrale nucléaire de Fessenheim, puis elle a décidé en 2022 de relancer un programme de centrales nucléaires. Dans beaucoup de pays européens, une part importante de l’opinion publique a développé une crainte assez irrationnelle de l’énergie nucléaire, alors que cette énergie a beaucoup d’avantages pour lutter contre le changement climatique.

La guerre en Ukraine a profondément remis en cause le modèle allemand basé sur l’abandon du nucléaire, le développement des énergies renouvelables et le recours au gaz russe. Elle a mis en lumière la dépendance de l’Europe dans beaucoup de domaines et, pour y remédier, l’Union Européenne a engagé des actions pour relocaliser certaines productions stratégiques. C’est le cas en particulier pour les batteries ou les panneaux photovoltaïques. Le développement de la fabrication d’hydrogène vert est aussi dans les priorités.

Le marché européen de l’énergie fait l’objet de beaucoup de critiques et certains voudraient le réformer, mais cela ne paraît guère possible tant que les deux pays les plus importants d’Europe, l’Allemagne et la France ne se seront pas mis d’accord sur le rôle de l’énergie nucléaire. L’Europe a réagi dans l’urgence après la guerre en Ukraine en recourant au gaz naturel liquéfié et au charbon. Pour l’avenir, l’Union Européenne doit impérativement redéfinir sa politique d’approvisionnement en énergie. C’est indispensable pour diminuer l’utilisation du charbon.

Le charbon en Afrique

En Afrique, sur une population de 1,4 milliards d’habitants, près de 600 millions n’ont pas accès à l’électricité et cela, malgré une multiplication par 3 de la production d’électricité entre 1990 et 2020. L’ONU prévoyant 2,5 milliards d’Africains en 2050, il faudrait donc encore multiplier par 3 la production d’électricité d’ici 2050 pour desservir toute la population. Comme les africains actuellement raccordés à un réseau consomment moitié moins d’électricité que la moyenne mondiale, il est certain que cette consommation moyenne des africains va augmenter, notamment avec l’urbanisation. L’Afrique va devoir alimenter en électricité des mégapoles. Pour 2050, l’ONU prévoit, par exemple, 50 millions d’habitants à Lagos, 35 millions à Kinshasa et 38 millions au Caire (Le gouvernement égyptien espère limiter l’augmentation à 30 millions d’habitants). Pour satisfaire les besoins dus à l’augmentation de la population et à la croissance de la consommation moyenne par habitant, il faudrait, d’ici 2050, multiplier par bien plus de 3, si possible par 4 ou 5, la production électrique actuelle et construire dans certaines régions des centrales de grande puissance.

La production d’électricité en Afrique est de l’ordre de 900 TWh, soit un peu plus que celle de l’Allemagne. Pour les deux tiers, elle est réalisée en Afrique du Nord et en Afrique du Sud. Pour plus des trois quarts, elle provient d’énergies fossiles. C’est le pétrole qui est le plus utilisé, mais des pays comme l’Afrique du Sud, le Botswana, le Maroc, le Niger ou le Zimbabwe produisent plus de la moitié de leur électricité à partir du charbon. Le développement des énergies renouvelables est actuellement bien trop lent pour répondre aux immenses besoins de l’Afrique. D’après l’Agence Internationale pour les Energies Renouvelables (IRENA), la capacité de production d’énergie renouvelable a augmenté de 180 000 MW en 2019 dans le monde, mais seulement de 2000 MW en Afrique. Si on ne corrige pas la trajectoire actuelle, l’électrification de l’Afrique se fera avec du gaz ou du pétrole et pour une bonne part avec du charbon.

Le cas de l’Afrique du Sud est exemplaire. Ce pays est l’un des plus importants d’Afrique sur le plan économique et dispose des deux seules centrales nucléaires d’Afrique. Mais sa production d’électricité provient à 80% du charbon. Comme ses mines de charbon sont le premier employeur du pays, l’Afrique du Sud a longtemps défendu sa production de charbon, mais elle vient de décider un plan de transition pour diminuer sa dépendance au charbon. A la COP 27 de 2022, l’Afrique du Sud a obtenu une enveloppe de 98 milliards de $ des pays développés pour l’aider à réussir cette transition dans les années à venir.

Le financement de l’électrification en Afrique

La baisse des coûts de production de l’électricité à partir de l’éolien ou du solaire permet de développer beaucoup de petits projets décentralisés de production d’électricité. Ces projets sont bien adaptés au milieu rural, mais ils sont handicapés par leur caractère intermittent et souvent aussi par les problèmes d’impayés dus aux faibles revenus des clients. Ils ne permettent pas de répondre aux énormes besoins des 1,2 milliards d’habitants qui peupleront les villes africaines en 2050. Pour alimenter en électricité les villes africaines, il faut des grands projets et des financements adaptés.

Il est de l’intérêt du monde entier d’aider l’Afrique à développer sa production d’électricité à partir d’énergies renouvelables. La liste des initiatives qui ont été prises pour trouver des financements est très longue, mais n’a jusqu’à présent pas débouché sur beaucoup de réalisations concrètes. En 2011, la Banque Africaine de développement a créé le Fonds pour l’Energie Durable en Afrique (SEFA), alimenté surtout par les pays scandinaves et les USA. En 2015. Jean-Louis Borloo a créé la fondation Energies pour l’Afrique avec le soutien de l’Arabie Saoudite. En 2017, à la suite de la COP 21, l’Initiative de l’Afrique pour les Energies Renouvelables (AREI) a été créée sous l’égide de l’Union Africaine. Les Etats Unis ont mis en place Power Africa. L’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA) finance le Couloir Africain de l’énergie propre. L’Union Européenne a créé le Partenariat Afrique-UE pour l’énergie. Beaucoup de banques, à commencer par la Banque Mondiale et la Banque Européenne d’Investissement, soutiennent le financement des énergies renouvelables. Le Fonds vert pour le climat mis en place par l’ONU dans la cadre de la COP a pour objectif d’apporter 100 milliards de $ par an  aux pays du Sud pour financer l’adaptation au changement climatique et en a apporté effectivement 85 milliards. Les projets de production d’énergie peuvent aussi bénéficier des crédits de l’Aide Publique au Développement qui se sont élevés à 186 Milliards de $ en 2021, dont environ 30 % pour l’Afrique. Enfin, on peut rappeler que, si les projets de production d’électricité sont bien étudiés, ils doivent être rentables et peuvent être financés par emprunt. En fait, ce n’est pas l’argent qui manque, mais les projets bien étudiés et concrets.

L’Europe et la Chine peuvent aider l’Afrique dans les énergies renouvelables et le nucléaire

L’Afrique a énormément de ressources naturelles pour développer des grands projets d’énergies renouvelables. Dans la zone équatoriale, plusieurs fleuves à gros débit peuvent être aménagés pour produire de l’électricité. Dans les déserts du Sahara ou du Kalahari, des centrales photovoltaïques peuvent couvrir des milliers d’hectares. La géothermie dans la zone du Rift africain et le vent en mer ou dans les zones littorales peuvent fournir de grandes quantités d’énergie.

A titre d’exemple, le complexe de barrages du Grand Inga sur le Congo (qui a un débit moyen de 41 000 m3/s) pourrait fournir une puissance de 42 000 MW, soit la puissance de 25 EPR ou près de deux fois la puissance de la plus grande centrale électrique du monde, celle du barrage des trois gorges en Chine. Avec ce projet, la République Démocratique du Congo pourrait non seulement répondre à ses besoins et à une partie des besoins de pays voisins, mais devenir un grand producteur et exportateur d’hydrogène vert.

Mais l’Afrique n’a pas assez d’ingénieurs pour élaborer ces grands projets qui lui permettraient de se passer du charbon et du pétrole. Les capacités d’ingénierie pour ces projets existent en Europe et en Chine. Le plus grand service que l’Europe et la Chine pourraient rendre ensemble à l’Afrique serait de proposer à l’Union Africaine de créer et de financer ensemble des missions d’ingénieurs africains, européens et chinois pour étudier les mégaprojets d’énergies renouvelables les plus intéressants d’Afrique. Au bout de deux ans, ces équipes pourraient certainement proposer aux financeurs nationaux et internationaux une dizaine de projets qui auraient un impact régional sur l’approvisionnement en énergie, tout en donnant à l’Afrique une image plus moderne.

Plusieurs pays africains, le Nigeria, l’Égypte, le Ghana, le Niger, l’Ouganda, l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, le Soudan, l’Éthiopie, le Rwanda, la Namibie et le Kenya souhaitent construire des réacteurs nucléaires. En attendant que les projets aboutissent, la Chine et l’Europe pourraient d’ores et déjà accueillir des centaines, voire des milliers d’ingénieurs africains pour les former aux techniques de l’énergie nucléaire.

Si des grands projets de production d’électricité à partir d’énergies renouvelables ne sont pas réalisés d’ici une quinzaine d’année, les énormes besoins de l’Afrique seront satisfaits d’abord par le pétrole, puis, quand la production de pétrole baissera, par le charbon.

 La coopération Chine-Europe en Afrique : un pari gagnant-gagnant

La coopération avec la Chine en Afrique dans le domaine des énergies renouvelables permettrait à l’Europe de montrer qu’elle tient à garder des relations normales avec la Chine et ne souhaite pas s’impliquer unilatéralement dans la rivalité entre les États-Unis et la Chine.

Elle rassurerait aussi les africains, en évitant les accusations de néocolonialisme. La Chine a beaucoup ralenti ses projets d’investissement dans les infrastructures en Afrique et a du récemment annuler les dettes chinoises de 17 pays africains. Cependant, elle reste très présente en Afrique et  le financement de l’ingénierie de projets de production d’électricité à partir de renouvelables lui permettrait de montrer son intérêt pour ce continent sans engager beaucoup de dépenses. En outre, cela permettrait aux grandes entreprises européennes et chinoises d’être bien placées pour réaliser ensuite les travaux  en bénéficiant de financements internationaux. L’accès à l’électricité est un facteur essentiel de développement. Le financement conjoint de missions d’ingénierie européenne et chinoise dans les énergies renouvelables serait un moyen très efficace de contribuer au développement de l’Afrique, tout en servant les intérêts du monde entier en diminuant l’utilisation des énergies fossiles en Afrique. Tout le monde y gagnerait.

Louis Caudron
Ingénieur Général Honoraire du Génie Rural des Eaux et des Forêts, Ancien Sous Directeur du Développement Rural au Ministère de la Coopération Ancien Directeur au Conseil Départemental de la Vienne