Réalité virtuelle et reportage sur les conflits

Réalité virtuelle, un mot qui nous fait penser à de nombreuses utilisations au quotidien et dans un futur proche

Imaginons l’étendue de son champ d’application : éducation, recherche, création, design… et pourquoi pas journalisme ?

La compagnie française Emissive et le photographe Karim Ben Khelifa ont ainsi mis leurs compétences en commun dans le but de nous faire côtoyer au plus près les combattants de conflits historiques.

C’est l’histoire d’une rencontre entre une jeune société spécialisée dans la réalité virtuelle et un photoreporter ayant couvert quelques-unes des guerres les plus meurtrières de ces dernières décennies. L’une crée des expériences en réalité virtuelle à destination des professionnels, l’autre souhaite donner la parole aux soldats, quel que soit leur camp. Ainsi est né The Enemy, une installation en VR d’un genre nouveau, à mi-chemin entre le photoreportage et l’interview interactive.

L’idée est ici de créer un rapport inédit entre le « spectateur » et l’intervenant, grâce à l’immersion qu’apporte un casque de VR. Nous avons d’ailleurs pu en faire l’expérience dans les locaux parisiens d’Emissive, sur une version assez peu avancée du projet, et pourtant déjà pleine de promesses.

Promiscuité incroyable

Concrètement, nous avons enfilé un Oculus Rift (DK2) largement customisé par la compagnie. Des capteurs y ont été ajoutés, tandis que deux caméras, calées de part et d’autre de la pièce, permettent de nous situer dans l’espace. Le principe rappelle bien évidemment le HTC Vive, mais l’ambition d’Emissive va plus loin, puisque la version « finale » de The Enemy sera multiutilisateur (jusqu’à 20 personnes) et prendra place dans un lieu bien plus grand. Chacun sera équipé d’un sac à dos contenant un mini PC et pourra ainsi se déplacer librement dans l’installation. Les avatars des participants seront bien entendu modélisés dans l’espace virtuel, changeant de forme au gré de leurs réactions. On arrive d’ailleurs dans la partie « étrange » du projet, puisque Emissive souhaite se servir des dernières avancées en matière de neurosciences pour analyser les émotions des utilisateurs et altérer ainsi leur apparence dans le monde virtuel.

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La démo à laquelle nous avons assisté était cependant plus limitée, puisque confinée à une toute petite pièce dans laquelle nous étions seuls. Une fois l’expérience lancée, nous nous retrouvons dans un lieu sombre, où quelques murs sont éclairés. De larges photos de conflits y sont accrochées.

En nous approchant, une courte légende apparaît, des bruits de tirs, des explosions se font entendre. En nous retournant, nous constatons qu’un homme se tient debout, de l’autre côté de la pièce. Demi-tour, quelques pas, et nous voici devant un soldat d’une trentaine d’années, modélisé de manière très réaliste. Il se met alors à parler, dans sa langue. C’est un Israélien, qui nous explique pourquoi il se bat, quelles sont ses motivations, comment il voit son avenir. Le fait de pouvoir s’approcher de son visage, tout en l’écoutant, apporte un étrange sentiment de promiscuité et renforce clairement le propos et l’intérêt qu’on lui porte.

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Après quelques minutes d’entretien, nouveau demi-tour. À l’opposé, face au soldat israélien, un jeune Palestinien attend notre venue. Le procédé est le même : quelques pas nous permettent de « déclencher » une interview du soldat. La modélisation est toujours aussi précise et rend l’impact des mots bien plus fort. On se prend alors à imaginer une nouvelle façon d’interagir et de « vivre » un sujet journalistique, via la réalité virtuelle. Bien que très courte, cette démo de The Enemy est prometteuse et l’on espère que les grandes ambitions d’Emissive et de Karim Ben Khelifa, notamment concernant les interactions avec les autres utilisateurs, pourront se réaliser.

Il va de toute façon falloir prendre son mal en patience, puisque le projet ne devrait pas être finalisé avant janvier 2017. Quoi qu’il en soit, The Enemy montre, une fois de plus, que la réalité virtuelle offre des usages qui vont au-delà du simple divertissement et peut servir à renforcer le propos le plus sérieux.

Avec Les Numériques

Christian Arshavin
Christian Arshavin, diplômé dans le graphisme à l'Institut Technique Salama, habite à Lubumbashi en RDC. Etudiant à Maria Malkia, une université de sciences informatiques avec une spécialisation en "Technologie et Réseaux".