Les grandes gloires ivoiriennes : de grands oubliés ?

Laurent Pokou
Laurent Pokou

Samedi 25 février 2017, l’ex-goleador des Eléphants Laurent Pokou a été conduit à sa dernière demeure à Tiassalé (Centre-ouest à 100 km d’Abidjan)

Au cours des nombreuses oraisons funèbres de celle du célèbre journaliste Eugène Kacou en passant par le représentant des anciens joueurs de la génération du défunt, Nko Lazare et le porte-parole de la famille, tous ont émis le même et unique vœu  : immortaliser Laurent Pokou. « Notre vœu le plus cher est de voir le nouveau stade en construction porter le nom de Laurent Pokou », supplie.

Le porte-parole de la famille a souhaité que le trophée de Meilleur buteur remporté en Ethiopie en 1968, et qui lui a valu l’appellation de « l’homme d’Asmara », devienne une pièce de musée. « Après son sacre en Ethiopie, Laurent a offert son trophée de l’homme d’Asmara à un ancien dirigeant. Nous lui avons emprunté ce chef d’œuvre pour la circonstance. Mais lorsque nous lui avons dit que nous lui retournerons l’objet d’art à la fin des différentes cérémonies, il a souhaité que nous la gardions en mémoire de Laurent. A notre tour, nous invitons le gouvernement de Côte d’Ivoire à mener les démarches adéquates auprès de la famille afin qu’il ait la garde de ce trophée. Notre vœu serait qu’il devienne une pièce de musée dont la Côte d’Ivoire prendra soin et qui sera présentée aux visiteurs et touristes ».

Si cette demande paraît banale ou va dans le sens normal des choses, il va s’en dire qu’un malaise existe. Et ces personnalités du monde du sport et de la société civile ont saisi la balle au rebond pour exprimer ce mal-être. En effet, les anciennes gloires sont délaissées voire oubliées une fois qu’elles ont rangé les chaussures de sports, les gans, les kimonos, etc. Elles finissent pour la plupart, notamment celles qui n’ont pas eu une situation sociale reluisante, dans le dénuement le plus total. Et oubliées de tous. Alors qu’au plus fort de la crise socio-politique ivoirienne, les athlètes ont joué un grand rôle en étant des acteurs de décrispation et de réconciliation.

Mais au constat, ils ne sont pas récompensés à leur juste valeur. Nombreux sont ceux qui sont tombés dans l’oubli total faute de moyens. A titre d’exemple, Beugré Inago : Ello Dingui, GG Leopoldine, Alphonse Yoro, Jean Kéita, Zagoli Gbolié, etc.

La plupart de ceux qui sont décédés n’ont pas eu droit à un hommage de la dimension de celle que l’Etat à rendu à titre posthume à Laurent Pokou. On peut citer, entre autres : Sékou Bamba, N’diaye Sékou, Konan Yobouet, Sery Wawa, Kallet Biali,  et j’en passe. Quand ils ont de la chance, ils sont élevés à des grades à titre posthume (chevalier, officier, commandeur dans l’ordre de …). Ce folklore est devenu une marque déposée de notre société.

Laurent Pokou
Laurent Pokou

Cette situation est symptomatique du fait que depuis les nombreuses décennies où la Côte d’Ivoire est présente dans les joutes sportives internationales, il n’y avait pas de lois sur le sport. Ce n’est seulement que le 18 décembre 2014 qu’elle s’est dotée d’une loi sur le sport dont les décrets d’application sont encore à ce jour en cours d’adoption. Pourtant depuis les années 1960, ce pays compte des athlètes qui ont porté haut le flambeau de la Côte d’Ivoire. Entre autres, Gaoussou Koné, Gabriel Tiacoh en athlétisme, Me Théo Dossou, Me Souleymane Koné, Me Patrick Remarck (Taekwondo),  Gadji Céli, Youssouf Fofana, Beugré Yago, Abdoulaye Traoré dit Ben Badi, etc. (Football), N’goran Clément au tennis, etc.

Depuis septembre 2016, a été enfin adopté le décret relatif au statut du sportif de haut niveau. Il s’ajoute à trois autres dont l’un fixant les conditions et modalités de création d’organisation et de fonctionnement de Centres de Formation Sportive ; un autre fixant les conditions et modalités d’octroi, de suspension et de retrait de l’agrément aux associations, aux fédérations, aux groupements sportifs et sociétés sportives ; enfin, un décret relatif aux modalités de la délégation de pouvoirs aux fédérations sportives. L’application effective de cette loi est encore loin, puisque l’année 2017 est consacrée à la sensibilisation et à l’information selon le ministre des sports, Albert François Amichia.

L’application de ces dispositions ne devrait en principe pas poser de véritables problèmes puisqu’en son temps, l’ex-ministre de la jeunesse et des sports Laurent Donan Fologo avait proposé le recyclage de ces sportifs de haut niveau à l’Institut national de la jeunesse et des sports (INJS) au titre de professeur d’éducation physique. On pourrait ajouter à cette proposition, la création d’un corps de professeurs d’Enseignement ou d’éducation au Sport.

D’autres propositions ne seraient pas superflues ; entre autres :

– Prendre des dispositions pour que chaque grande région de la Côte d’Ivoire possède une équipe de football, de hand-ball, de basket, de tennis, de natation, de cyclisme, etc., chacune subventionnée par les municipalités et soutenue par l’Etat.

– Affecter ces sportifs de haut niveau avéré et rémunérés par l’Etat, à l’encadrement de ces clubs sportifs.

– Penser à sécuriser les sportifs travailleurs indépendants afin que ceux-ci puissent avoir une pension de retraite.

Dans tous les cas, il urge que le gouvernement fasse un effort afin que la loi rentre effectivement en application pour le bien-être des athlètes qui croupissent pour nombre d’entre dans la misère : faute de moyens financiers.

Elisabeth Goli
Journaliste sportif, 16 ans d’expérience. Présidente de l’Union des femmes reporters sportifs d’Afrique (Ufresa). Membre de l’Association internationale de la presse sportive (AIPS). Initiatrice des Awards de la meilleure sportive africaine. Chevalier dans l’ordre du mérite sportif ivoirien.