Le Nigeria, nouveau front de la guerre contre le terrorisme pour les USA ?

 

Les conflits interconfessionnels menacent de faire basculer le pays dans une véritable guerre de religion…

Mise à jour du 11 août 2012: L’armée nigériane a découvert des caches d’armes lors de raids menés contre des bases présumées du groupe islamiste Boko Haram dans deux villes du nord du pays, ont déclaré des responsables du pays.

Au Nigeria, les violents conflits qui opposent chrétiens et musulmans menacent de faire basculer le pays dans une guerre de religion.

L’instigateur du conflit n’est autre que Boko Haram, mouvement islamiste dont le nom même est lourd de sens, «L’éducation occidentale est un péché».

Si le gouvernement nigérian ne parvient pas à enrayer ces violences avant qu’elles ne dégénèrent, les Etats-Unis interviendront certainement (quoiqu’avec une relative légèreté) pour venir en aide aux adversaires de Boko Haram.

La situation nigériane a atteint un point critique le 17 juin 2012, lorsque Boko Haram a attaqué trois églises dans l’Etat de Kaduna (centre-nord du pays) pendant la messe, tuant vingt-et-une personnes.

Les chrétiens ont vite riposté, et des affrontements intercommunautaires ont presque immédiatement éclaté. Après quatre jours d’agitation, une centaine de Nigérians avaient perdu la vie.

Les chrétiens, cible principale

Boko Haram est coutumier de la violence terroriste; des représentants américains suspectent d’ailleurs cette organisation d’être liée à al Qaida.

Le département d’Etat américain note que les attaques de Boko Haram et de ses sympathisants ont fait plus de mille morts au cours des dix-huit derniers mois.

La ceinture centrale du Nigeria, qui abrite plusieurs communautés religieuses, est par ailleurs coutumière des violences interconfessionnelles (la population du nord du pays est majoritairement musulmane, celle du sud est à majorité chrétienne).

En 2002, des émeutes avaient fait plus de cent morts (à Kaduna, déjà), lorsque de jeunes musulmans avaient protesté contre la tenue de l’élection de Miss Monde au Nigeria.

En 2006, on avait compté plusieurs dizaines de victimes après la parution des caricatures controversées du prophète Mahomet, dans le quotidien danois Jyllands-Posten.

L’actualité récente nous montre que les attaques de Boko Haram se font de plus en plus meurtrières.

L’organisation est pleine refonte tactique: si elle concentrait jusqu’ici ses actions sur les assassinats et les assauts de masse contre les forces de sécurité, elle se livre désormais à des attentats-suicides.

Et les chrétiens (qui sont généralement attaqués dans leurs lieux de culte, pendant leurs messes) sont aujourd’hui en tête de sa liste de cibles à abattre.

Le gouvernement nigérian a connu un certain succès dans sa lutte contre Boko Haram. L’organisation a fait l’objet d’une répression violente en juillet 2009 lorsque son fondateur, Mohammed Yusuf, a été capturé puis sommairement exécuté par les forces de sécurité nigérianes.

 

Surenchère de la violence

Selon les estimations de l’armée, environ huit cents membres de l’organisation auraient été tués. L’intéressante étude que le chercheur David Cook a consacrée à Boko Haram nous apprend cependant que l’organisation a refait surface dès l’année suivante, plus puissante que jamais.

Elle se serait alors lancée dans «une série d’assassinat et d’attaques —très médiatisés— à travers le nord du Nigeria», avant d’orchestrer des attentats-suicides (à partir de l’été 2011).

Selon Cook, les attaques et les menaces de Boko Haram se concentrent par ailleurs «de plus en plus sur des intérêts liés aux préoccupations économiques américaines dans la région.»

Dans la droite ligne de son évolution tactique, Boko Haram a fréquemment eu recours aux attentats-suicides contre ses cibles chrétiennes.

Avant les attaques du 17 juin 2012, l’organisation avait déjà organisé plusieurs attaques terroristes contre des églises, pendant l’office.

Le 29 avril 2012, des hommes armés avaient ainsi ouvert le feu pendant la messe à l’université de Bayero(Etat de Kano, nord du Nigéria), faisant alors au moins seize morts.

Le groupe avait également revendiqué un attentat suicide perpétré le 3 juin 2012 dans le nord-est du pays, qui avait emporté quinze personnes et fait quarante blessés.

Le dimanche suivant (10 juin 2012), les églises des villes de Jos et de Biu ont été prises d’assaut; on a recensé trois morts et plus de quarante blessés. Boko Haram a une fois de plus revendiqué les attentats.

Ces attaques ont suscité de vives réactions dans la communauté chrétienne du Nigeria. Au lendemain des attentats de jeunes chrétiens auraient ainsi agressé des musulmans dans la périphérie de Jos —mais cette riposte n’était rien à côté de la vague de violence qui a fait suite aux attaques du 17 juin.

La défense aveugle des chrétiens

Tandis que les assauts visant les églises se succédaient d’un weekend à l’autre, les chefs religieux chrétiens et musulmans tentaient d’enrayer l’escalade de la violence.

Jama’atu Nasril Islam, groupe de coordination des organisations musulmanes du Nigeria, a adressé une lettre ouverte au gouvernement pour condamner les attaques d’églises, les qualifiants de «barbares.» Ces appels au calme ne sont toutefois pas parvenus à dissiper le grondement de la vengeance.

Dans les régions abritant de nombreux activistes de Boko Haram, les chrétiens ont eu l’impression que l’Etat était incapable d’assurer leur sécurité.

Le révérend Emmanuel Chukwuma, président de l’Association chrétienne du Nigéria pour le sud-est du pays, a déclaré que si les chrétiens continuaient d’appeler à la paix, «l’actuel dispositif de sécurité nigerian est visiblement incapable de mettre un terme aux massacres.»

La même Association chrétienne a fait d’autres déclarations, et certaines d’entre elles comportent des menaces plus directes.

Devant les journalistes, son président, Ayo Oritsejafor, a expliqué que l’Eglise avait jusqu’ici «prôné la modération la plus stricte» auprès de ses ouailles, «mais [qu’elle] ne [pouvait] garantir une telle coopération si la vague d’attaques terroristes [n’était] pas immédiatement stoppée.»

Le Congrès du peuple odua, mouvement nationaliste yoruba, a lui aussi mis en garde le gouvernement: si ce dernier ne parvient pas à neutraliser Boko Haram, «le peuple se mobilisera de sa propre initiative pour assurer sa survie», a-t-il affirmé.

Au lendemain des trois attaques d’églises de Kaduna —les messes étaient alors la cible d’assauts depuis trois weekends consécutifs— la riposte des chrétiens fut des plus rapides.

Une partie des musulmans pris pour cibles avaient effectivement participé aux attaques; l’agence Reuters rapporte ainsi que les activistes qui avaient jeté des bombes dans une des églises concernées avaient été «saisis et tués par la foule.»

Certains actes de représailles se sont caractérisés par une violence aussi sauvage qu’aveugle: la même dépêche nous apprend que des chrétiens auraient extirpé des automobilistes musulmans de leurs voitures avant de les tuer.

Le spectre de la guerre religieuse

Face à l’escalade de la violence, de nombreux observateurs nigérians évoquent ouvertement la perspective d’une guerre civile religieuse. Le quotidien nigérian PM News parlait ainsi, récemment, de «la possibilité d’une guerre religieuse.»

Le 26 juin, la Conférence nigériane des évêques catholiques a déclaré que face à l’incapacité des forces de sécurités à arrêter et à désarmer les activistes, l’auto-défense était désormais «un impératif pour les chrétiens» (comme le rapporte un article du journal nigérian The Guardian). Ce communiqué n’a fait qu’exacerber les peurs.

Une guerre religieuse pourrait faire le jeu de Boko Haram. L’Irak de 2006 est certes bien différent du Nigeria d’aujourd’hui, mais il convient de rappeler qu’al-Qaida était parvenu à plonger l’Irak dans la violence interconfessionnelle en attaquant la communauté shiite, avant de se poser en défenseur des sunnites.

De la même manière, Boko Haram pourrait tirer parti des actes de représailles visant les musulmans; actes provoqués par leurs attaques contre les chrétiens.

Plusieurs éléments tendent à prouver que les attentats visant les messes du dimanche ont divisé l’opinion —et que les prises de position de chacun dépendent souvent des appartenances religieuses.

«J’ai affirmé par le passé qu’il ne s’agissait pas là d’une guerre de religion», a expliqué le sénateur chrétien Ita Solomon Enang dans une interview.

«Mais je suis aujourd’hui gagné par le doute: quand des gens introduisent des fusils dans les églises, prennent pour cible des fidèles désarmés, les tuent, et s’en vont… je pense que l’on pourrait parler deDjihad

Pour l’heure, le gouvernement nigérian s’efforce de contenir cette nouvelle flambée de haine alimentée par les conflits interconfessionnels.

Face à la crise, le président Goodluck Jonathan a décidé de limoger son conseiller à la sécurité nationale et son ministre de la Défense; le pays a selon lui besoin d’élaborer de «nouvelles tactiques» pour combattre Boko Haram.

Il y a cependant très peu de chances pour que ce remaniement apaise les peurs des chrétiens et fasse reculer les communautés chrétiennes partisanes de l’auto-défense.

Vers une intervention américaine?

Si le gouvernement du Nigeria n’est pas à la hauteur de la tâche, les Etats-Unis s’intéresseront certainement de beaucoup plus près aux opérations antiterroristes menées dans la région.

Le général Carter Ham, chef du haut commandement des forces américaines pour l’Afrique, a souvent fait mention de liens existant entre Boko Haram et deux autres groupes affiliés à al-Qaida, Al Shabab (Somalie) et al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi, Afrique du Nord). Le 21 juin, le département d’Etat américain a pour la première fois inscrit trois membres haut placés de Boko Haram sur leur liste des «terroristes internationaux expressément désignés» —et les Etats-Unis envisagent d’y inscrire le mouvement dans son ensemble.

Jusqu’à présent, la stratégie américaine de lutte contre Boko Haram passait, avant tout, par le renforcement des partenaires locaux (formation des troupes de contre-insurrection, soutien en matière de renseignements, financements visant à soutenir les forces armées) plutôt que par des opérations directes et «cinétiques».

Mais si le Nigeria ne parvenait pas à endiguer cette guerre interconfessionnelle en gestation, les Etats-Unis pourraient opter pour un engagement plus direct.

Les forces spéciales américaines, qui entraînent aujourd’hui les soldats nigérians, pourraient, par exemple, passer à l’action directe; les Etats-Unis pourraient également s’attaquer directement aux dirigeants de Boko Haram.

Rien n’indique que les Américains souhaitent s’engager plus avant dans la région, mais les divisions religieuses du Nigeria sont si profondes qu’il leur est impossible d’écarter tout à fait une telle option.

Le Nigeria ne va certes pas du jour au lendemain se transformer en Somalie ou en Yemen —et encore moins en Irak ou en Afghanistan.

Mais si les violences religieuses qui agitent le pays ne sont pas contenues, nous pourrions bien assister à l’ouverture d’un nouveau front dans la guerre contre le terrorisme. Un de plus.

Thierry Barbaut
Sources: www.slateafrique.com

 

 

Thierry BARBAUT
Thierry Barbaut - Directeur Afrique et pays émergents chez 42 www.42.fr et consultant international - Spécialiste en nouvelles technologies et numérique. Montage de programmes et de projets à impact ou les technologies et l'innovation agissent en levier : santé, éducation, agriculture, énergie, eau, entrepreneuriat, villes durables et protection de l'environnement.