Enceinte à l’école en Côte d’Ivoire

L’école ivoirienne est malade, malade de nombreux maux. L’un des plus pernicieux est le phénomène des grossesses des filles

L’Etat et les acteurs du système éducatif ont alors décidé d’instaurer en 2013, la campagne « zéro grossesse à l’école » qui piétine toujours.

En effet, le ministère de l’éducation nationale, dénombre pour cette année 4471 cas. Quoique modestement en baisse, les chiffres, (6800 en 2014-2015 contre 5900 en 2015-2016) témoignent de l’ampleur du chemin à parcourir.

Que justifie la persistance de ce fléau ? Comment y remédier ?

Le mal est profond car mettant en jeux plusieurs facteurs. D’abord, sur le plan culturel, on note la prépondérance des mariages forcés pour la plupart précoces. De quels armes dispose une jeune fille encore nubile contre le « mâle géant » de la tradition ? Elle se retrouve fragilisée et isolée, condamnée à subir les assauts ‘‘légaux’’ de l’homme auquel elle appartient.

Il nous revient en mémoire, à titre d’illustration, l’histoire de cette fille d’à peine 16 ans dont on avait célébré le mariage juste après l’obtention de son BEPC (Brevet d’étude du premier cycle). C’est tout naturellement qu’elle s’est retrouvée enceinte au cours de son année scolaire et qu’elle dut mettre un terme à sa scolarité. Paradoxalement, son père était enseignant dans son collège.

Mais, pour lui, il semblait normal qu’une fille, même brillante, soit sacrifiée sur le pilori des traditions. La partie conservatrice de la société ivoirienne considère encore que le rôle d’une femme est d’être épouse et mère. Associer les chefs religieux et communautaires qui ont une autorité morale permettrait de briser certaines considérations rétrogrades, notamment la division sexuelle du travail domestique (l’homme dehors, la femme au foyer) et la soumission aveugle de la femme à l’homme, est plus qu’indispensable.

En outre, il persiste encore sous nos cieux une absence de communication entre les parents et leurs enfants sur les questions de sexualité considérées comme taboues.

On attend de l’école qu’elle prépare les adolescents à celà, oubliant malheureusement que ce n’est qu’une continuité de l’éducation familiale. Les enfants apprendront seuls les mauvaises habitudes et pratiques, ce qui les rendra vulnérables aux manipulations et aux maladies. Les parents doivent alors les sensibiliser aux conséquences d’une sexualité débridée. Et pour ceux qui auraient déjà une vie sexuelle active, il faudrait les éduquer aux moyens de contraception.

La question des médias est cruciale car ils présentent des contenus de plus en plus sexualisés (films, clips musicaux…) et ont de moins en moins de garde-fous. L’accès facile et vulgarisé à internet plonge les adolescents dans un cercle vicieux au travers notamment des réseaux sociaux. La régulation parentale est plus que jamais incontournable. Pour ce faire leur sensibilisation et la mise à leur disposition de moyens techniques de contrôle, seront très utiles pour prévenir des comportements déviants.


L’aspect économique, plus que prépondérant, ne doit pas être omis. Car si l’argent est le nerf de la guerre, la pauvreté est la racine de biens des maux. L’on constate malheureusement que l’indigence des familles pousse les filles de plus en plus tôt à s’affranchir de la tutelle des parents avec pour la plupart la complicité ou l’impuissance de ceux-ci. En s’adonnant à une forme de prostitution déguisée.

Certaines, obligées de quitter leurs hameaux en vue de continuer leur scolarité, se retrouvent facilement vulnérables aux assauts de personnes sans moralité dont des professeurs, tuteurs, hommes en armes, commerçants et autres. Il serait adéquat d’aider les familles les plus démunies par des systèmes d’aides ciblées entre autres solutions, mais qui seraient conditionnées par l’obligation de prendre soin et de veiller au bon déroulement des études de leurs filles. Et, pour celles obligées de s’éloigner, penser à la construction de collèges de proximité, l’ouverture d’internats, de foyers d’accueil et d’hébergement des filles socialement vulnérables (orphelines, etc.).

S’il est vrai que les campagnes et autres moyens de sensibilisation peuvent s’avérer un tantinet efficaces, tout le monde s’accorde à dire qu’il est impératif que tous les auteurs de ces méfaits soient punis pour leurs forfaits.

Il est temps en Côte d’Ivoire de penser un cadre juridique efficient qui permettrait aux victimes de disposer de recours efficaces contre le «droit de cuissage» et/ou harcèlement sexuel, abus sexuels sur mineurs, mariages précoces/non désirés. Car même si des lois existent (loi n° 98-756), elles ne sont pas suffisamment connues des victimes ou de leurs parents ou restent souvent inappliquées du fait de l’inaction ou de la corruption des autorités compétentes, sans parler du caractère non dissuasif des sanctions.

Il est donc indispensable d’assurer le droit de recours en justice de la jeune fille (actions en justice, recours et procédures de saisine, sanctions de la justice…). Beaucoup de filles n’osent pas, au risque de passer pour des parias, dénoncer les actes de leurs bourreaux et sont même dans certains cas tenues pour responsables.

Par ailleurs, cela peut sembler utopique d’ester en justice contre un homme riche eu égard à la corruption qui gangrène nos police et justice. Les agents de ces corps de métier se rendant coupables de complicité avec ces hommes moyennant des pots de vin. Elles abandonnent donc souvent cette voie pour se résigner à accepter leurs sorts.

Il faut une véritable stratégie nationale pour lutter contre la corruption qui règne dans un pays occupant le 136e rang mondial, et est considéré comme le 2e pays le plus corrompu de l’Union monétaire ouest africaine et le 4e des pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest.

Si nous désirons véritablement voir émerger notre pays, il nous incombe, nous acteurs de la société civile, de trouver une solution idoine à ce fléau qui freine la scolarité des filles et donc le développement de notre pays. Marginalisées pour certaines, sujettes aux IST pour d’autres, elles deviennent pour la plupart incapables de s’insérer dans un tissu socio-professionnel.

Goli Laeticia Carelle, diplômée de Droit public, Université catholique de l’Afrique de l’Ouest.
En partenariat avec Libre Afrique

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