Ecouter ce que disent les entreprises informelles

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Avec la Banque Mondiale

Le monde en développement compte de très nombreuses entreprises informelles qui fournissent généralement plus de 70 % des emplois nationaux (Loayza 2018 [a]). Ces entreprises sont cependant moins performantes que celles du secteur formel, tant sur le plan des pratiques de gestion et de comptabilité que de la productivité ou encore du nombre d’employés (Amin et Okou 2020 [a], Aberra et al.2022 [a]). En raison de la prédominance de l’économie informelle, une part considérable d’entreprises ne bénéficient pas pleinement des technologies appropriées, des méthodes de production efficaces et de l’accès aux services publics essentiels (Loayza 2018).

Des chercheurs ont étudié les facteurs économiques et institutionnels à l’origine de l’informalité et constatent que c’est un symptôme du sous-développement et de la mauvaise gouvernance (Schneider et Enste 2000 [a], Loayza 2016 [a]). Mais comment les entreprises informelles expliquent-elles leurs choix ?  Les récentes enquêtes de la Banque mondiale auprès des entreprises du secteur informel (a) apportent un éclairage sur cette question.


Témoignages d’entreprises informelles

Entre 2017 et 2022, l’équipe de la Banque mondiale chargée des enquêtes auprès des entreprises (a) a mené plus de 15 000 entretiens détaillés (a) avec des échantillons représentatifs d’entreprises informelles dans 24 villes de sept pays. Il en ressort que la lourdeur de la réglementation et l’absence d’avantages dissuadent les entreprises informelles d’entrer dans le secteur formel. Ainsi, 42 % d’entre elles citent au moins trois obstacles. Pour 51 % des entreprises informelles, il s’agit des taxes, pour 47 % des délais et du coût de l’enregistrement, et pour 56 % de l’absence d’avantage à être déclarée (figure 1).

Les obstacles à l’intégration dans l’économie formelle diffèrent considérablement d’un pays à l’autre. Au Zimbabwe, 70 % des personnes interrogées citent les délais et le coût de l’enregistrement, soit 22 points de pourcentage de plus que les pays qui viennent ensuite. Les raisons de ne pas s’enregistrer divergent également considérablement entre les entreprises informelles selon leur niveau de rentabilité (figure 2.a) et leur ancienneté (figure 2.b). Dans l’ensemble, les entreprises plus rentables et plus anciennes estiment que les taxes, les inspections et les interactions avec les fonctionnaires, ainsi que les pots-de-vin constituent les obstacles plus importants, tandis que les entreprises plus récentes sont 4 points de pourcentage plus nombreuses à citer le manque d’informations (50 % contre 46 %). Au fur et à mesure que les entreprises se développent et résistent à l’épreuve du temps, elles ont tendance à être plus réglementées et à attirer davantage l’attention des fonctionnaires corrompus. C’est ce qui explique, en partie, que l’entreprise informelle type n’emploie que deux travailleurs, dont le propriétaire ou gérant (Aberra et al.2022 [a]).

Figure 1 : Les entreprises restent dans l’informalité pour tout un faisceau de raisons liées à l’environnement commercial et à la gouvernance

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Figure 1 : Les entreprises restent dans l’informalité pour tout un faisceau de raisons liées à l'environnement commercial et à la gouvernance
Source : Banque mondiale, Informal Sector Enterprise Surveys
Note : Les données pour l’Inde regroupent les réponses à deux questions relatives à l’enregistrement GST ou PAN. Les résultats au niveau national correspondent à la moyenne simple des villes étudiées. Les estimations au niveau des villes sont calculées à l’aide de pondérations d’échantillonnage.


Figure 2 : Les obstacles à l’intégration dans l’économie formelle dépendent de la rentabilité et de la taille de l’entreprise

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Figure 2 : Les obstacles à l’intégration dans l'économie formelle dépendent de la rentabilité et de la taille de l'entreprise
Source : Banque mondiale, Informal Sector Enterprise Surveys
Note : Les données relatives à la rentabilité par travailleur ne sont pas disponibles pour l’Inde et le Zimbabwe.


L’informalité et l’environnement des entreprises

Les témoignages des entreprises informelles font écho à un corpus de recherches selon lesquelles l’informalité s’explique par une réglementation excessive et un État inefficace (De Soto 1989 [a]). Des règles d’entrée coûteuses font obstacle à la création d’entreprises formelles et obligent les nouveaux entrants à être de plus grande taille (Klapper et al.2006 [a]), tandis que des réglementations lourdes, en particulier sur les marchés des produits et du travail, favorisent l’informalité et pèsent sur la croissance (Loayza et al. 2005 [a]). Dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, le taux de l’impôt sur le revenu des sociétés est également un facteur d’informalité (Cisneros-Acevedo et Ruggieri, 2022 [a]), tandis que la corruption bureaucratique incite les entreprises à dissimuler leurs résultats (Johnson et al. 2000 [a]). Les données transnationales confirment que l’informalité est plus élevée dans les pays où la réglementation est coûteuse (figure 3.a) et la corruption répandue (figure 3.b). L’environnement des affaires joue un rôle particulièrement important à mesure que les entreprises se développent parce qu’une réglementation excessive freine ce développement (voir, par exemple, Almeida et Carneiro 2009 [a]).

De surcroît, les entreprises informelles utilisent les infrastructures et les services publics mais ne contribuent pas aux taxes nécessaires à leur financement. À son tour, l’absence d’infrastructures et de services entraîne une augmentation de l’informalité (Ingram et al. 2007 [a]), alimentant ainsi un cercle vicieux. Pire encore, les travailleurs informels sont moins susceptibles d’investir dans l’éducation de leurs enfants, ce qui augmente le risque de voir ces derniers piégés dans le secteur informel (BID 2008 [a]).

Figure 3 : L’informalité est plus répandue lorsque la réglementation est lourde et la corruption généralisée

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Figure 3 : L'informalité est plus répandue lorsque la réglementation est lourde et la corruption généralisée
Source : Banque mondiale, Informal Economy Database ; Doing Business ; World Governance Indicators.
Note : La relation est statistiquement significative au niveau de 5 % après pondération du RNB par habitant. Les données se rapportent à la moyenne simple des 57 pays pour lesquels on dispose d’informations entre 2015 et 2019.


Un appel au changement

« Quand les gens parlent, écoutez-les complètement. » – Ernest Hemingway

Le témoignage des entreprises informelles montre que les pays doivent réduire les excès de réglementation et améliorer l’environnement dans lequel elles opèrent.  Pour ce faire, nous avons besoin d’informations qui peuvent nous aider à évaluer les problèmes existants, à identifier les goulets d’étranglement spécifiques et à orienter les programmes de réforme.

La nouvelle initiative phare de la Banque mondiale, Business Ready (a), est une avancée dans cette direction. Elle vise à générer des connaissances spécifiques et détaillées sur les domaines réglementaires clés qui incitent les entreprises et les travailleurs à rejoindre le secteur formel dans 180 économies. Un projet connexe, intitulé Subnational Business Ready (a), transpose cette approche à l’échelon infranational et mesure les disparités dans l’environnement des entreprises à l’intérieur d’un même pays. Ces projets fourniront des données précieuses pour le développement qui encourageront des apprentissages mutuels et des réformes favorisant une croissance inclusive à long terme.

Nous remercions Norman Loayza, David Francis, Gemechu Ayana Aga et Nona Karalashvili pour leurs précieux commentaires.

Consultez les enquêtes auprès des entreprises du secteur informel (a) pour aller plus loin et en savoir plus. L’équipe a également récemment publié des données sur la République centrafricaine. Des travaux sur le terrain sont actuellement en cours en Indonésie et en Tanzanie et débuteront bientôt au Cambodge.

L'équipe d'Info Afrique
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