Cameroun: Maltraitances d’enfants dans les écoles coraniques – Témoignage exclusif Info Afrique

Les enfants enchainés de Katarko par le Coran

Pour avoir refusé de prendre les cours et tenté de s’enfuir, plusieurs enfants mineurs ont passé plusieurs semaines enchainés par leur guide spirituel dans une école coranique à Garoua au nord Cameroun.

En violation flagrante de la loi sur le trafic et la traite des enfants. 

Enfin. Une assiette en main, Djibrila(&), torse nu, reprend son activité : la mendicité. La grosse chaine qui tenait en otage sa frêle cheville droite depuis un mois et demi a sauté. Au début du supplice, il espérait passer sous les chaines moins de temps que ses copains infortunés. Mais, sa liberté est conditionnelle car le piège de la torture peut se refermer sur lui à tout moment. «Le maitre a dit qu’il va encore punir si on ne revient pas à l’école », confie le gamin de 10 ans.

A première vue, rien d’anormal sur la rue principale de Katarko, un quartier populaire de Garoua, capitale de la région du Nord Cameroun. Il est 13 heures, ce jour de juin 2013. Le pas pressé, des fidèles musulmans, indifférents à la canicule ambiante, ruent vers la petite mosquée du coin pour implorer le pardon d’Allah. Pendant ce temps, à 20 mètres de là, Djibrila et douze de ses copains partagent un triste destin.

La queue séchée du cheval comme fouet

africains-ecole-coraniqueTous âgés visiblement de moins de quatorze ans, ils vivent enchainés depuis plusieurs semaines dans la salle principale d’une école coranique à Katarko. Les similitudes dans la petite bande ne s’arrêtent pas. Chacun a un pied libre de mouvements pendant l’autre est enchainé sur un poteau, une gente de camion rouillée ou une barre de fer. «Ils ne veulent pas apprendre leurs leçons et tentent de s’enfuir, c’est pourquoi le maitre les a enchainés», me raconte un brin naïf un enfant libre.

Les garçons enchainés, vêtus de haillons ou torses nus, les traces de fouet par endroit, sont regroupés près d’un mur portant des écritures sans doute laissées par des anciens pensionnaires. A quelques mètres, plusieurs ardoises entassées. L’environnement carcéral laisse de marbre de petites filles vêtues de pagnes qui s’affairent dans une cuisine étroite. Les enfants qui ont échappé aux chaines, eux, dorment sur des vêtements sales et des morceaux de cartons dans une pièce non éclairée au loin.

Allongé sur une moquette multicolore, Mal Saidou, moustache grisante, chéchia vissée sur la tête, est le propriétaire des lieux. A portée de sa main droite, un Coran, un chapelet et une bouilloire. Des rideaux pendent le long des murs. Enseignant de Coran communément appelé marabout, cet homme à la soixantaine certaine suit tous les faits et gestes à partir de ce poste de travail, unique tableau riant du local.

Conscient des souffrances qu’il inflige aux enfants, Mal Saidou ne supporte pas les visites surprises. Bienfaiteur pour la circonstance, je désire apprendre le Coran. Après une série de questions, le maitre coranique affublé d’un enfant comme traducteur est catégorique : « ce n’est pas moi qui refuse ; c’est Allah qui ne veut pas», lasse t-il tomber avant de se résoudre à m’apprendre à faire des ablutions comme s’il voulait se rattraper d’une faute.

A Katarko, les parents musulmans aimeraient voir leurs enfants apprendre le Coran dès le bas âge malgré les moyens limités. Mal Saidou en a profité pour transformer son domicile en école. Il envoie les enfants dans la rue pour mendier, vend une encre faite de résine d’arbres et de poudre de charbon et reçoit des frais d’inscription non exigibles et des dons des âmes généreuses. La confiance des parents acquise, le marabout transforme son école en haut lieu de maltraitance. « Il nous fouette avec la queue séchée de cheval. Quand tu veux fuir, on t’enchaine. Là, on te libère pour faire tes besoins et puis on t’enchaine encore», raconte un enfant.

Des enfants exposés à la pédophilie

Le calvaire peut durer des mois. Certains voisins de Mal Saidou ont parfois été alertés par des cris de détresse des captifs. Personne n’ose toutefois dénoncer le marabout par crainte de représailles. « Les gens ont peur de lui. On raconte qu’il est capable de lancer une infirmité à quelqu’un », me dit Sally, un voisin.

Les populations ne sont pas seules à redouter les marabouts qui abusent les enfants. Chef service de la protection de l’enfance à la délégation régionale des affaires sociales du Nord, Nsenga Lydie, parle d’un sujet sensible. «A ce niveau, les actions sont délicates  à cause des barrières religieuses. Ces enfants confiés aux marabouts par leur parent sont pour la plupart nigérians et tchadiens. Ils viennent des régions de Macari, Golfé et Banki. Ils sont exposés à la pédophilie et au trafic humain», explique le fonctionnaire.

A la veille du jeune du Ramadan, le marabout a libéré Djibrila et ses copains pour ne pas heurter la sensibilité d’éventuelles âmes généreuses qui apporteraient la zakath, l’aumône encouragée dans le Coran pour venir en aide aux pauvres.

Les gens comme Mal Saidou violent l’article 4 de la  loi sur le trafic et la traite d’enfants qui punit d’un emprisonnement de 10 à 20 ans et d’une amende de cinquante mille à un million de f CFA, toute personne qui se livre, même occasionnellement, au trafic ou à la traite des enfants.  Le marabout de Katarko sévit toujours en toute impunité.

Des sanctions molles contre les coupables

En 2008, un marabout avait lié, pendant un mois et demi, trois adolescents avec des cordes dans une école coranique à Souari, un autre quartier de Garoua. Dénoncé par les parents, il avait écopé de deux ans d’emprisonnement ferme.

Cinq ans après le drame, j’ai retrouvé Aboubakar Isiakou, une des victimes, sans sa jambe gauche. « On a coupé mon pied parce qu’il avait gonflé comme un ballon. Le sang ne circulait pas. Le marabout prenait les cordes servant à attacher les bœufs pour nous lier les mains et les pieds », se souvient le jeune homme à la taille élancée qui se déplace à l’aide de béquilles. Faute de soins appropriés, sa blessure laisse encore échapper des odeurs nauséabondes.

Dans le rapport annuel sur la traite des êtres humains en 2012, le département d’Etat américain avait pointé les écoles coraniques comme étant des foyers actifs d’abus divers contre les enfants et avait condamné la mollesse des sanctions contre les coupables. En plus, aucun instrument ne garantit encore la sécurité des témoins et des victimes. Selon les Nations Unies, 93% d’enfants sont victimes de discipline violente au Cameroun. Un des taux les plus élevés au monde.

« L’administration doit commencer à enquêter sur la moralité des marabouts et leur capacité à enseigner,  à nourrir et à loger  un certain nombre d’enfants en sécurité », dit Nsenga Lydie.

                                                                                                

Entretien avec Aboubakary Isiakou

« Mon pied était gonflé comme un ballon »

Ancien pensionnaire d’une école coranique, le jeune homme raconte les circonstances qui ont conduit à l’amputation de sa jambe gauche.

 

Comment avez-vous perdu votre jambe gauche ?

J’étais un convoyeur aux Brasseries du Cameroun à N’Gaoundéré ; je buvais de la bière et je jouais la vie : mon père ne voulait pas que je travaille aux Brasseries parce que disait-il, dans sa famille, personne  ne travaille aux Brasseries. Il m’a fait venir à Garoua. Il  m’a ensuite confié à un marabout au quartier Souari afin que ce dernier me donne un remède qui va me faire abandonner toute idée de travailler aux Brasseries.

Qu’est s’est-il passé chez le marabout?

Le marabout m’a attaché les deux pieds à l’aide des cordes dont on sert pour attacher les bœufs. Je pleurais tout le temps en menaçant que je vais détacher les cordes. Mon pied était gonflé comme un ballon ; le sang ne circulait pas. Ensuite, il a attaché mes mains. Je suis resté attaché pendant un mois et deux semaines. Le marabout voyait tout ce qui se passait mais il ne voulait pas nous ramener à la maison.

Combien d’enfants étaient attachés avec des cordes ?

Nous étions trois. Il y avait Ibrahima Aoudou, Ousmanou Yaro et moi. L’un d’eux avait un pied qui saignait. Un jour, sa mère lui a amené de la nourriture. Elle a trouvé son enfant tout sale et s’est mise à le gronder en demandant pourquoi il n’a pas envoyé des gens lui dire qu’il avait besoin d’argent pour  s’acheter du savon. L’enfant a dit qu’il avait mal au pied. Quand il a soulevé le drap qui couvrait son pied, toute la chair était déjà tombée par terre. On voyait l’os. La mère de l’enfant a couru en pleurant vers la boutique pour acheter un foulard.

Une heure plus tard, le personnel médical est arrivé sur les lieux avec un brancard pour porter le garçon malade. A l’hôpital, le médecin a dit que depuis qu’il est jeune, il n’a jamais vu un pareil cas. Il a appelé la police et les autorités administratives de la ville. L’enfant a expliqué que sa mère l’avait envoyé chez le marabout parce qu’il saoulait.

Comment vous a-t-on découvert et quel sort a été réservé au marabout ?

C’est ce gars qui a dit aux policiers qu’il y a d’autres enfants attachés à l’école coranique. Les policiers ont arrêté le marabout qui a révélé par la suite les noms de ses complices. Tous ont été interpellés et conduis dans les locaux de la police judiciaire. Le marabout a passé deux ans en prison. Au tribunal, j’avais demandé qu’on me soigne ou qu’on me donne quelque chose pour faire le commerce. Mais, mon père a refusé qu’on m’aide. Jusqu’à présent, ma plaie n’est pas guérie. Si elle guérit, je compte ouvrir un call box.

Propos recueillis par Coupry