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De plus en plus d’experts pour une libre circulation Europe-Afrique

Pas de libre-échange durable sans libre circulation des personnes : « Nous voulons retrouver la croissance et la prospérité ? Ouvrons les frontières et organisons la libre circulation !» C’est en substance ce qu’un nombre croissant d’experts disent aux décideurs occidentaux. Un message difficile à vendre aux électeurs après avoir joué si longtemps la carte du bouc émissaire émigré.

De plus en plus de voix s’élèvent pour alerter les pays développés sur les conséquences désastreuses de leur politique de lutte contre l’émigration qui, plus que les dérives de la finance, a mené leurs économies dans une impasse. Martin Wolf, commentateur économique en chef du Financial Times, avertissait déjà en 2004 (Why Globalization Works) : « Les contrôles migratoires provoquent une distorsion économique majeure dans le monde : la disparité de la rémunération du travail ». Dans ce contexte de crises financières répétées et de déséquilibres périlleux, « personne ne semble prêt à suggérer cette solution pourtant évidente : libérer les flux migratoires », déclare Marin Wolf.

Pour un nombre croissant d’experts, si les capitaux, les marchandises et les élites peuvent circuler en toute liberté, alors les peuples doivent impérativement bénéficier des mêmes droits. Faute de quoi un déséquilibre insupportable se crée en faveur du capital contre le travail, en faveur des grandes entreprises contre les petites ou en faveur de l’agro-industrie contre les paysans.

Dès 2003, un rapport de l’ONU (Gevrey, 2003), étayé par des études du Bureau international du travail et du Conseil économique et social français, déclarait : « Il faut que l’émigration reprenne si l’on veut soutenir la compétitivité, l’innovation, le dynamisme économique, social, culturel et démographique.»

 

 

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Martin Wolf,
commentateur économique en chef au Financial Times : « Personne ne semble prêt à suggérer cette solution pourtant évidente : libérer les flux migratoires ».

L’Asie, elle, attire les migrants
Ce constat a été repris, il y a deux mois, par The Economist, dans un dossier intitulé Let them come ! : « L’immigration est, dans l’ensemble, bonne pour les économies » affirme le magazine qui met en garde les politiciens occidentaux : « Une concurrence croissante émerge. L’Asie est en passe de devenir le nouvel aimant pour les migrants. »

« En 2009, Shanghai a accueilli 100 000 étrangers, même nombre pour le port de Guangzhou ». Plus que la dette grecque, voilà donc la principale menace qui pèse aujourd’hui sur les économies occidentales : perdre leur attractivité internationale au regard des migrants.

Une guerre coûteuse et contreproductive
La guerre menée contre les migrants coûte excessivement cher aux contribuables occidentaux : selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), les 25 pays les plus riches dépensent chaque année entre 25 à 30 milliards de dollars pour endiguer les migrations, c’est la moitié de toute l’aide publique au développement.

C’est une guerre, non seulement coûteuse, mais également contreproductive. Comme on le voit chaque jour dans les actualités, la fermeture des frontières se révèle inefficace. Elle empêche de gérer correctement les migrations, au mieux des intérêts des pays d’accueil comme des pays d’origine. Les restrictions imposées aux migrants limitent leur mobilité dans les deux sens, les contraignant à se sédentariser coûte que coûte, là où ils se trouvent, quelque soit la situation du marché du travail : « Les contrôles de l’immigration ont eux-mêmes, de manière déterminante, contraint à l’immobilité les travailleurs invités » déclare Nigel Harris, professeur d’économie urbaine au Collège de Londres et spécialiste européen des questions de migrations.

Selon Bimal Gosh, ancien directeur principal de l’ONU, « les restrictions à l’émigration ne peuvent, en elles-mêmes, faire cesser les migrations. Elles ne font que les réorienter vers les filières illégales (…) Aux Etats Unis, par exemple, le budget de l’Immigration and Naturalization Service a été multiplié par 20, passant de 250 millions à 5 milliards entre 1980 et 2000. Malgré cela, sur la même période, le nombre d’immigrants en situation irrégulière a plus que triplé ».

Le gain économique de la libre circulation
Selon Dani Rodrik, professeur à Harvard, « les gains les plus importants en terme de développement et de réduction de la pauvreté ne sont pas à chercher du côté du libre-échange, mais de la circulation internationale des travailleurs. Même une libéralisation limitée dans ce domaine stimulerait massivement le développement des pays pauvres ». Un avis que partage Peter Martin de l’OIM : « Le transfert de main d’œuvre des pays pauvres vers les pays riches accroitrait le PIB mondial et finirait par réduire les pressions migratoires à mesure que les salaires tendraient à converger ». Car si le libre échange profite au capital, la libre circulation, elle, profite d’abord aux salariés. Et donc à la consommation, à la production et à l’emploi.

Pour Hamilton et Whalley (Perspectives économiques, OCDE), « une libéralisation totale du marché international de la main d’œuvre doublerait le PIB mondial ». Quant à Tim Hatton de l’université d’Essex, il estime que « les gains d’une libre circulation des personnes serait 10 fois supérieurs à ceux du libre échange. »

Pour un nombre croissant d’économistes, qui n’ont pas yeux rivés sur le yoyo hypnotisant des marchés financiers, le remède à la crise que connaît le système économique mondial consiste donc à (ré)intégrer les pays développés dans le marché mondial du travail en s’orientant progressivement vers la libéralisation des migrations et l’ouverture des frontières. Un remède nettement plus efficace qu’un acharnement thérapeutique sur le cycle de Doha pour tenter obtenir encore un peu plus de libre échange marchand.

Le combat perpétuel entre le capital et le travail
Durant les trois derniers siècles des masses d’Européens se sont installés librement dans les Amériques, en Australie, en Afrique du Sud, en Rhodésie, au Kenya, dynamisant ainsi les échanges internationaux et assurant au monde une croissance économique fulgurante. Les USA se sont construits par l’émigration, des Européens d’abord, fuyant la misère sur leur propre continent, puis des Africains, déportés par millions, puis des Chinois et des Indiens, via un système de main d’œuvre sous contrat. Jusqu’en 1962, au sein du Commonwealth, tous les citoyens de l’empire britannique, d’Asie comme des Caraïbes, pouvaient circuler librement dans l’espace commun. De tous temps la migration a constitué le principal régulateur des économies et l’un de ses puissants moteurs.

Si au XXe siècle le combat perpétuel entre le capital et le travail s’est essentiellement cristallisée sur le conflit Est-Ouest, depuis plus de vingt ans, il prend la forme d’une véritable guerre contre les migrants, avec, entre autres, une gigantesque frontière militarisée entre le Mexique et les USA, deux pays pourtant liés par un accord de libre échange. Avec une Europe qui envisage de (re)construire un mur, cette fois-ci à la frontière de la Turquie, soudainement devenue indésirable au sein de l’Union, après plusieurs décennies de rapprochements. Vu sous cet angle, le printemps de Tunis ou du Caire ne ressemble-t-il pas furieusement au printemps de Prague ?

Thierry Barbaut
Source: www.agenceecofin.com

 

 

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Thierry BARBAUT
Thierry Barbaut - Directeur des financements solidaires chez 42 www.42.fr - Spécialiste en nouvelles technologies et numérique. Montage de programmes et de projets à impact ou les technologies et l'innovation agissent en levier : santé, éducation, agriculture, énergie, eau, entrepreneuriat, villes durables et protection de l'environnement.
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