Cybersécurité : opportunités et défis de la coopération africaine

Cyber Sécurité
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« Digitaliser sans protéger, c’est dangereux » répétait Roger Adom, ancien ministre ivoirien de l’Économie Numérique. Ses quelques mots résument l’enjeu de la cybersécurité pour le continent africain. Si celui-ci connaît une numérisation accélérée depuis la fin des années 1990, l’entrée des sociétés africaines dans l’économie numérique a parallèlement entraîné et accru les risques « cyber ». C’est pourquoi, il est essentiel de les maîtriser afin de réduire les impacts sur les économies africaines. Cela nécessite donc la mise en place d’une culture commune de la cybersécurité. Aussi, au fur et à mesure que les entreprises opèrent leur révolution numérique et que les citoyens utilisent de plus en plus Internet et les plateformes numériques, la coopération africaine en matière de lutte contre les cyberattaques devient chaque jour un enjeu de plus en plus crucial.

La cybersécurité en Afrique : un défi d’ampleur

La pandémie de la COVID-19 a mis en lumière l’ampleur du défi que représente l’adaptation des administrations et des entreprises africaines aux enjeux de cybersécurité induits par la numérisation croissante que connaissent nos sociétés. Les mesures de distanciation sociale, de quarantaine ou encore la fermeture des frontières ont rendu quasi systématique le recours au télétravail, tout en accroissant l’importance du e-commerce et l’utilisation de services en ligne. Ceci a également exposé les fragilités des économies africaines face aux risques cyber de plus en plus sophistiqués, et la nécessité d’intégrer la cybersécurité dans les logiciels de pensée.

Une étude du cabinet Deloitte sur la cybersécurité dans les entreprises africaines[1] a ainsi montré que la cybersécurité et ses enjeux afférents n’étaient pas encore suffisamment pris en compte, l’Afrique francophone comptant encore un train de retard par rapport au reste du monde. Ainsi, parmi les entreprises sondées – comptant toutes plus de 500 employés – seules 22% disposaient d’un responsable de la sécurité cyber. Les enjeux rattachés à ce domaine étaient évoqués au moins une fois par trimestre dans seulement 16% des entreprises citées, contre 53% dans le reste du monde. En cas d’attaques, seules 11% étaient assurées et 42% disposaient d’un plan de continuité d’activité. Ces carences s’observaient également dans les budgets consacrés à la cybersécurité : inférieurs à 200 000 euros dans les deux tiers des cas, ils n’excédaient 500 000 euros que dans 11% des entreprises. De plus, ce budget était souvent inégalement réparti entre les postes de dépense, provoquant des déséquilibres préoccupants lorsqu’on compare leur situation à la moyenne mondiale. Si 35% des investissements allaient à la sécurité des infrastructures de télécommunications, – contre 14% en moyenne dans le monde -, seulement 5% étaient dédiés à la sécurisation des données, poste de dépense représentant 16% des dépenses de cybersécurité pour les entreprises extérieures à la zone observée.

L’impression dégagée par ces statistiques est largement corroborée par un rapport d’Interpol[2] daté d’octobre 2021, qui estimait que 90% des entreprises africaines ne disposaient pas de protocoles de cybersécurité suffisants. Ces carences provoquent des dommages économiques, puisque le cabinet kényan Serianu estimait que la cybercriminalité avait provoqué des pertes s’élevant à 4,2 milliards de dollars en 2021 sur l’ensemble du continent[3].

Malgré des défis persistants, une coopération africaine en progression

Si la coopération africaine en matière de cybersécurité constitue donc aujourd’hui une nécessité du fait de la digitalisation croissante des économies sur le continent et des carences encore observables, il existe néanmoins des barrières qui font entrave à son progrès.

Les tensions géopolitiques persistantes entre certains pays, l’instabilité que connaissent malheureusement d’autres, aussi bien sur le plan sécuritaire qu’institutionnel, représentent des freins à l’établissement d’une coopération durable. Parallèlement, les différents niveaux de développement, de maturité et de volonté politique en termes de cybersécurité limitent également la mise en place d’une collaboration efficace.

En 2021, seuls 12 pays avaient ainsi signé la convention de l’Union africaine sur la cybersécurité et la protection des données[4], dite Convention de Malabo, et uniquement six l’avaient ratifiée[5], tandis qu’uniquement 55% d’entre eux disposaient d’une législation sur la protection des données12. Harmoniser les législations, mettre un place un cadre juridique commun à l’échelle continental semblent donc être des préambules nécessaires pour permettre de relever le défi de la coopération africaine en matière de cybersécurité.

Si le continent africain a encore un long chemin à parcourir afin d’harmoniser les différents cadres légaux et réglementaires en termes de cybersécurité et de protection des données personnelles, des succès notables sont à souligner et à encourager. En effet, le marché de la cybersécurité en Afrique est passé de 0,92 Mds d’euros en 2015[6] à 2,32 Mds en 2020[7]. Des États ont mis en œuvre des politiques résolues. La Côte d’Ivoire par exemple, en pointe sur les sujets numériques, a pensé dès le début des années 2010 une stratégie nationale de la cybersécurité. En 2011, le pays créait ainsi la Plateforme de lutte contre la cybercriminalité (PLCC)[8], mais également une loi sur la protection des données personnelles permettant de poursuivre les cybercriminels. Les dernières années ont également vu l’émergence d’acteurs privés de la cybersécurité comme Ciberobs Consulting ou Diamond Security Consulting.

Ces progrès locaux ne peuvent toutefois permettre, à eux seuls, de relever le défi de la cybersécurité en Afrique. Le caractère transnational par nature de la cybercriminalité impose en effet une coopération et une stratégie internationales, afin de sensibiliser aux risques et aux opportunités que représente la digitalisation croissante des économies. De ce fait, le dialogue et l’établissement d’un cadre réglementaire adapté se révèleront nécessaires.

Se pose dès lors la question de la formation dans un secteur où la pénurie de travailleurs qualifiés dans le monde s’élève à 2,72 millions de personnes[9], et où l’Afrique n’en compte que 10 000 selon Franck Kié[10], fondateur de Ciberobs Consulting et du Cyber Africa Forum. Un effort commun en termes de formation de professionnels de la cybersécurité semble donc nécessaire. Cette coopération doit notamment inclure les acteurs privés pour être plus efficace. Nombre de ces derniers ont en effet développé des programmes de formation, tels que Orange, Google ou Huawei [11]. L’équipementier chinois a ainsi créé la ICT Academy dans les 600 meilleures universités et collèges spécialisés dans les technologies de l’information et de la communication (TIC) dans 28 pays africains, formant ainsi plus de 120 000 talents. Sur le continent africain, Huawei a également lancé le programme Seeds for the Future depuis 2014. Plus de 3 000 jeunes talents de 36 pays y ont participé et près de 1 000 d’entre eux ont eu l’opportunité de se rendre en Chine afin d’en apprendre davantage sur les nouvelles technologies numériques disruptives. Plus particulièrement, l’édition 2021 de Seeds for the Future au Mali a été l’occasion pour les étudiants de se sensibiliser aux rudiments de la cybersécurité, – les failles étant avant tout humaines -, et d’en apprendre davantage sur les actions menées par le groupe chinois dans ce domaine.

Outre l’apprentissage se pose également la question de l’investissement dans des infrastructures fiables et sécurisées, nécessaires pour accroître la cyber résilience des États. En tant que leader dans la fourniture de solutions et d’infrastructures de TIC, Huawei fournit des produits et des services d’infrastructures de télécommunication intelligents et sécurisés afin d’accompagner le développement et la résilience de l’économie numérique des pays en Afrique.

L’opportunité autant que la nécessité que représente la coopération africaine en matière de cybersécurité ont été bien perçues par de nombreux acteurs, et nous pouvons ainsi évoquer de premières initiatives prometteuses. En effet, dès 2014, l’Union Africaine a adopté la Convention de Malabo, posant les premiers jalons d’une coopération continentale. Plus récemment, le Sommet de Lomé qui s’est tenu en mars 2022[12] a également permis d’attirer l’attention sur la nécessité d’établir des réglementations et des cadres légaux communs. La création du Cyber Africa Forum (CAF) peut être citée comme un dernier exemple éloquent. Celui-ci, dont la deuxième édition s’est tenue en mai 2022, permet aux acteurs africains de la cybersécurité de disposer d’un lieu de rencontres, de discussions et d’échanges sur les bonnes pratiques nécessaire à la coopération. Cette dynamique positive doit donc être amplifiée afin de faire face aux enjeux essentiels de cybersécurité, et de pouvoir, demain, faire du continent africain un leader dans ce domaine.


[1] Deloitte, Étude de la maturité Cybersécurité 2021 Afrique Francophone, juin 2021.

[2] Interpol, Évaluation 2021 des cybermenaces en Afrique, octobre 2021.

[3] Jeune Afrique, Cybersécurité : comment la Côte d’Ivoire est devenue un hub régional, mai 2022.

[4] Convention de l’Union Africaine sur la cybersécurité et la protection des données ouverte à la ratification

[5] Jeune Afrique, L’Afrique peut-elle encore sauver sa souveraineté numérique ?, avril 2021.

[6] Markets and Markets, Africa Cyber Security Market

[7] La Tribune Afrique, Cybersécurité : l’Afrique a perdu 10% de son PIB dans les cyberattaques en 2021, mai 2022.

[8] Portail officiel du Gouvernement de Côte d’Ivoire, Lutte contre la cybercriminalité en Côte d’Ivoire : des résultats probants, 31/01/2022

[9] (ISC)2, 2021 Cybersecurity Workforce Study, 2021

[10] La Tribune Afrique, Cybersécurité : l’Afrique a perdu 10% de son PIB dans les cyberattaques en 2021, mai 2022

[11] Ibid.

[12] Jeune Afrique, Cybersécurité : à Lomé, l’Afrique veut s’armer contre les menaces, mars 2022.

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