Crise migratoire: un « plan Marshall » pour l’Afrique ?

L’Allemagne a été meurtrie par l’attentat du marché de Noël de Berlin en décembre 2016 commis par un terroriste Tunisien.

La confusion aidant, le sentiment des Allemands face aux vagues de migrants sera sans nul doute toujours  moins caractérisé par la main tendue et la porte ouverte.

Dans ce contexte, il y a de fortes chances pour que s’intensifient les appels à « tarir les flux migratoires à la source » par des programmes divers. L’idée avait notamment été mise en avant par Madame Merkel lors de sa tournée africaine à l’automne dernier (alors qu’elle se livrait indirectement à un exercice politique « à distance » pour séduire l’électorat de son parti). Il s’agit notamment pour les pays européens de verser une aide afin de « stabiliser » les pays africains sources d’émigration vers l’Europe.

L’idée n’est pas nouvelle, évidemment. Elle avait d’ailleurs été évoquée lors du sommet Afrique-Europe de 2015. En réalité, les politiques d’aide depuis les années soixante sont du même acabit. Bien sûr, qu’une coopération militaire soit engagée afin de relever les défis du terrorisme et d’aider des pays aux ressources limitées en matière de défense, semble frappée au coin du bon sens. En revanche, engager des énièmes « Plan Marshall » – tel que réclamé par le Président Issoufou du Niger ou proposé par Gerd Müller, le ministre allemand de la coopération par exemple – fondés sur l’aide au développement paraît, à l’analyse, quelque peu douteux, et ce pour plusieurs raisons.

La première, c’est que l’aide n’est en réalité qu’un palliatif qui n’est pas destiné à générer les opportunités économiques pour un développement économique pérenne – et donc la stabilité. Il y a d’ailleurs ici une confusion : le Plan Marshall visait à aider à reconstruire une Europe ravagée par la guerre mondiale, ses millions de morts et ses villes rasées : c’est bien différent.

Deuxièmement, après plus d’un demi-siècle et plus de 3000 milliards déversés, manifestement l’aide ne fonctionne pas si bien que cela. Faut-il s’en étonner ?

Les incitations des différents acteurs impliqués, et posées par le système que l’on pourrait qualifier finalement de co-dépendance, ne sont pas exactement « alignées » avec l’intérêt général. Les politiciens et bureaucrates « gestionnaires » de l’aide dans des pays récipiendaires où le degré de corruption est fortement élevé ont-ils une incitation à gérer correctement la manne de l’aide ? Quel est l’intérêt des pays donateurs – altruisme ou géostratégie ? On sait par exemple les ravages de « l’aide liée », qui, au moins officiellement, tend à disparaître.

Sans parler des incitations des bureaucraties de ce qu’on en est venu à appeler « l’industrie de l’aide » qui peut être un business lucratif. Comme dans d’autres domaines, la mise à disposition « d’argent des autres » en matière de « co-développement » est problématique. On se souvient à cet égard par exemple de la « gestion » de l’agence française ERA (Entreprendre et Réussir en Afrique) sous Sarkozy. Bref, l’aide ne finit pas là où elle censée le faire et par conséquent elle n’offrira pas de nouvelles « opportunités » aux Africains en général, qui chercheront ainsi toujours à migrer.

À côté des incitations divergentes, les limites de l’aide peuvent s’expliquer également par les problèmes de connaissance – comme en économie planifiée. La connaissance des « experts » occidentaux, récemment critiqués par William Easterly pour leur « tyrannie », est en réalité trop limitée face à la complexité institutionnelle des situations locales. Il n’y a pas de véritable continuum entre les besoins réels des populations locales africaines et les experts de Bruxelles ou Washington, de l’autre côté du « corridor de l’aide ». Là encore, du fait de la non réponse aux vrais besoins locaux, l’aide n’aura pas d’impact véritablement positif sur les opportunités des Africains, ni donc sur l’inversion des flux migratoires.

La troisième raison, c’est que l’aide peut avoir l’effet inverse à celui recherché. La « stabilité » d’un pays signifie – ou devrait signifier – essentiellement que l’état de droit y règne et que chacune et chacun soit libre de poursuivre les opportunités qui s’offrent à elle ou lui. Un bon indicateur de ce contexte institutionnel est le degré de liberté économique. Évidemment cette dernière nécessite un État relativement fonctionnel, et notamment une justice fonctionnelle, ce qui peut-être coûteux en première instance et pourrait justifier une aide pour financer. Il semble cependant que l’immense majorité des pays africains a des revenus qui permettent largement de couvrir ce genre de dépense essentielle, sans avoir à recourir à l’aide.

Celle-ci peut au contraire venir perturber les progrès vers une réforme institutionnelle visant à accroître les opportunités de chacun. La raison en est d’abord, nous l’avons vu, que l’aide peut évidemment corrompre et donner de mauvaises idées aux dirigeants. Plus profondément, lorsqu’un État ne dépend pas de ses administrés mais de bailleurs de fonds internationaux, le lien entre État et citoyens et rompu – un lien fondamental pour l’état de droit puisque la notion de reddition des comptes due au peuple ne peut en définitive réellement émerger (l’exemple turc devrait prêter à réflexion…). Dans ce contexte les réformes de fond tant attendues par les citoyens seront au contraire retardées. D’ailleurs, pour en revenir au Niger et au Président Issoufou, mettre fin aux pratiques népotiques consistant, par exemple, à mettre son propre fils à la communication de la présidence serait un bon début… (en dépit d’une amélioration récente, le pays se place à la 150ème place en matière de climat des affaires).

L’aide peut en outre conduire à un phénomène de « concurrence dans la prédation » entre clans tentant d’accaparer la « manne », se traduisant donc par des conflits et de l’instabilité, qui ne feront que déplacer les populations à la recherche de paix et de survie.

Il ne fait aucun doute qu’il est urgent de stopper le nombre de malheureux africains noyés en Méditerranée, à la poursuite d’un Eldorado  européen sans doute trompeur. Le problème des migrations est complexe, mais si les États européens devaient « aider », c’est en faisant pression pour des réformes institutionnelles de fond allant dans le sens de la libération des opportunités pour les Africains en Afrique, et non d’illusoires « plans Marshall » qui risquent d’aggraver le problème par leurs effets pervers.

Emmanuel Martin, économiste.

Christian Arshavin
Christian Arshavin, diplômé dans le graphisme à l'Institut Technique Salama, habite à Lubumbashi en RDC. Etudiant à Maria Malkia, une université de sciences informatiques avec une spécialisation en "Technologie et Réseaux".