Cameroun: Quatre ans plus tard, le fantôme des émeutes de 2008 hante toujours les victimes

De nombreuses familles ruminent encore leur déconvenue, pleurent leurs disparus, morts ou exilés à la suite des émeutes sanglantes de 2008. Chaque anniversaire du fils, du frère ou du mari rouvre la plaie et charrie le désespoir.

 

A chaque anniversaire, à chaque grand évènement ou à la vue de l’un de ses amis, le souvenir de Christian Daniel Jabéa, tombé sous les balles de la police alors qu’il n’avait que 16 ans en février 2008 soulève le voile de tristesse. Les circonstances de l’assassinat restent encore vivaces à l’esprit des membres de la famille. « Il se rendait à la boutique pour acheter du pain. Tout à coup, il a vu un groupe de jeunes qui couraient dans tous les sens. Ils fuyaient les policiers. Il s’est mis à courir à son tour pour rentrer à la maison quand un policier a tiré à bout portant sur lui », se souvient Céline la cousine du disparu qui refuse toujours de croire qu’elle ne le reverra plus sur cette terre.

Quatre ans plus tard, la famille de Christian et ses proches croient encore à un miracle. Ils refusent d’accepter et d’oublier que leur fils a été mortellement atteint par un coup de feu d’un policier au deuxième jour des émeutes dites de la faim, laissant  la grande famille Kouo Issedou dans l’émoi.

Chagrin éternels

La famille de Francis Djiamo  par contre a perdu le sommeil depuis la fin de  ces évènements avec la disparition de leurs fils Tchamako Emmanuel, âgé lui de 23 ans. Ce dernier  s’était retrouvé sur le théâtre de ces évènements  en compagnie de son frère aîné Francis Djiamo. Il avait lui aussi reçu une balle et est décédé quelques temps après sur le chemin de l’hôpital. La famille n’avait pas encore fini de faire son deuil qu’elle est accusée d’avoir favorisé la fuite de son aîné Francis Djiamo du pays. En effet, ce dernier qui se trouvait aussi sur le lieu de la manifestation est accusé d’avoir organisé le pillage en bande de plusieurs magasins. Un homme d’affaire propriétaire de plusieurs magasins qui avaient été pillées avec trois de ses voitures brulées accuse  depuis ce jour Francis Djiamo d’être le leader du groupe de jeunes à l’origine de son tort.  Bien plus, il est reproché au même groupe l’incendie de la société Sidem au cours de laquelle plusieurs dizaines de camions flambant neufs avaient brulé. Las d’attendre le retour de Francis, l’homme d’affaire s’attaque désormais à ses parents à qui il réclame 30 millions pour les dommages. « Nous ne savons pas si notre fils a effectivement participé à cette opération et si c’était le cas, que cet homme s’en prenne à lui et non à nous. On nous a déjà annoncé que le jour où il mettra les pieds ici, on va le jeter en prison…Qu’avons-nous fait au bon Dieu pour mériter tout ceci… nous avons déjà enterré son petit frère », se lamente la mère de Francis.

Elles sont nombreuses ces familles victimes de ces émeutes qui paient encore le prix de ces évènements d’il y’a quatre ans. Certaines, comme la famille Kouo Issedou, sont fixées sur la fin brutale de leurs proches ; d’autres qui n’ont pas eu les nouvelles de leurs proches depuis ces événements sont confuses. Elles ne savent toujours pas si ces derniers sont en vie ou pas. Plusieurs autres qui avaient quitté le pays pour échapper à la prison ont trouvé la mort sur le chemin de l’Europe, dans le désert ou en traversant la méditerranée. Les plus chanceux ont atteint des pays européens où ils vivotent avec l’espoir de trouver un emploi, mais pas de rentrer au pays.

Vie chère

Les émeutes dites de février 2008 sont parties d’une manifestation contre la vie chère. Des milliers de jeunes sont alors descendus dans les rues pour crier leur ras-le-bol. Les forces de sécurité constituées de la police, la gendarmerie et le bataillon d’intervention rapide (BIR) interviennent et répriment durement les manifestants.  De nombreux camerounais, en majorité des jeunes sont froidement abattus. Le bilan des de cette semaine de  manifestation est lourd. 40 morts pour le gouvernement, contre 139 morts pour l’action camerounaise pour l’abolition de la torture (Acat), une Ong locale. De nombreux blessés sont enregistrés dans les hôpitaux pendant que les dégâts matériels se chiffrent à plusieurs centaines de millions. Plus de 3000 jeunes arrêtés seront incarcérés dans les prisons. Plusieurs y séjournent encore.

El Christian