La biométrie en Afrique : une panacée pour la transparence électorale ?

Gemalto, Morpho, Zete, Genky, Biolink, Electoral Service International, telle est la liste non exhaustive des entreprises étrangères auxquelles les pays africains font appel pour la « biométrisation » de leurs processus électoraux.

Objectif ?

Echapper aux fraudes électorales massives, catalyseurs de crises et conflits politiques. En effet, presque partout aujourd’hui sur le continent, gouvernants, opposants et société civile ne tarissent pas d’éloges sur l’arrivée de cette technologie qui, à leurs yeux, est la « recette miracle » des élections libres, fiables et transparentes. Face à un tel emballement, une question s’impose : la biométrie est-elle la panacée de la transparence électorale ?

La biométrie est une avancée incontestable

L’Afrique est en passe de devenir le précurseur mondial en matière d’élections biométriques. En effet, si plus de la moitié des pays du monde ont recours à la reconnaissance biométrique dans leurs processus électoraux, plus de la moitié de ceux-ci sont situés en Afrique. Effet de mode ou pas, un tel fait peut s’expliquer aisément. Du fait de l’absence ou d’une mauvaise tenue du registre d’état civil, la plupart des pays africains éprouve de sérieuses difficultés dans l’élaboration de listes électorales reflétant l’ensemble de la population en âge de voter. Pour relever ce défi, ces derniers n’ont d’autre choix que d’emprunter le chemin de la biométrie.

La biométrie est une technique visant à identifier une personne à partir de ses caractéristiques biologiques, qui sont infalsifiables et uniques pour lui. Dans son principe, le système biométrique est une avancée réelle. Son utilisation pourrait en effet révolutionner bien des choses. Permettant de lutter contre les inscriptions multiples et les électeurs fictifs. La biométrie est incontestablement un outil concourant directement à la fiabilité du fichier électoral. Techniquement, il ne serait plus aussi facile de tricher. Le principe « une personne, un vote », une des pierres angulaires des élections démocratiques longtemps mis à mal, retrouve ainsi sa vitalité.

On peut alors, en toute légitimité, penser que la biométrie, en assurant l’égalité des votes, participe à l’enracinement de la démocratie dans nos Etats. Cependant, comme pour toutes les technologies, les limites de la biométrie doivent être prises en compte.

La biométrie est une condition nécessaire mais insuffisante

Les enseignements tirés des expériences des différents pays africains tendent à montrer que certes, la biométrie a des vertus qu’on ne pourrait nier, mais son introduction dans le processus électoral ne suffit pas à garantir la tenue de scrutins crédibles et transparents. En témoignent les nombreuses contestations post-électorales que nous observons ici et là, et dont l’usage du système biométrique n’a pu faire l’économie. Il faut  alors prendre conscience des limites de cette technique qui n’est pas aussi infaillible ou invincible qu’on ne le pense.

D’une part, la biométrie ne prend pas en compte tout le processus électoral. Ne visant que la fiabilisation des listes électorales et la sécurisation des votes, elle laisse des brèches qui peuvent être exploitées par certains politiques refusant à tout prix le jeu de la transparence. Bourrages d’urnes, inversion des résultats, pression sur les électeurs, voilà des pratiques qui subsistent malgré l’avènement de l’outil biométrique et qui tendent à annihiler ses précieux apports.

D’autre part, il ne faut pas occulter les nombreux problèmes d’ordre techniques qui surviennent lors des consultations électorales. Trop souvent en effet, les élections biométriques ont été bafouées par la mauvaise qualité de la saisie des données lors de l’inscription des électeurs ou par des failles dans les processus de déduplication des listes électorales et de vérification de l’identité des électeurs. De tels dysfonctionnements révèlent les difficultés  d’appropriation de cette technique par les pays, compte tenu de leurs faibles moyens financiers et du manque d’expertise appropriée en la matière. Qui plus est, même mise en œuvre correctement, cette technologie admet des marges d’erreurs.

Le constat est donc clair : la biométrie, quoique de nature à faire un saut qualitatif aux processus électoraux, ne saurait être seule la clé de la transparence électorale. Il faut certainement plus pour réhabiliter la confiance des citoyens dans les institutions politiques.

Les autres ingrédients pour réhabiliter la confiance des citoyens dans les institutions politiques

Le but ultime d’une élection est l’acceptation des résultats par tous. Chose extrêmement difficile lorsque le lien de confiance entre les citoyens et les institutions politiques est rompu. Et la biométrie à elle seule ne peut rien pour réconcilier les citoyens avec les institutions.  En réalité, le contexte dans lequel le système biométrique est appliqué joue un rôle prépondérant dans son succès ou son échec. L’option d’une élection transparente réelle ne saurait se départir de cette confiance institutionnelle, lubrifiant essentiel au fonctionnement de tout système politique.

Pour être digne de confiance, les institutions politiques doivent donc faire en sorte que les gouvernements respectent la volonté des populations et gouvernent par consentement et non par coercition. A cet égard, le processus électoral doit être inclusif. Il s’agit non seulement de rechercher le consensus dans l’établissement de la liste électorale afin que celle-ci ne fasse pas l’objet de contestations, mais aussi de choisir un processus de collecte et de comptabilisation des résultats transparent. Plus généralement, s’appuyant sur la bonne gouvernance, les institutions politiques africaines doivent améliorer leur qualité en renonçant à la corruption et en respectant scrupuleusement les règles établies ; la transparence étant une exigence du jeu démocratique. Eu égard à ses nombreux avantages, il est temps que la biométrie soit aussi une aubaine pour l’Afrique et non juste, pour les entreprises étrangères, du pain béni.

Zakri Blé Damonoko Anicet, Juriste, Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest-Unité Universitaire d’Abidjan (UCAO-UUA).

Article publié en collaboration avec Libre Afrique.