A Tombouctou, les islamistes s’attaquent aux mausolées de la plus grande mosquée

Vue d'une des mosquées de Tombouctou, en mai 2010.

Vue d’une des mosquées de Tombouctou, en mai 2010. | AFP/HABIB KOUYATE
 

Les islamistes qui, depuis trois mois, contrôlent et occupent Tombouctou, dans le nord-ouest du Mali, poursuivent la destruction d’édifices religieux en ciblant cette fois la plus grande mosquée de la ville, classée patrimoine mondial en péril, ont rapporté des témoins à l’AFP.

« Actuellement, les islamistes sont en train de détruire deux mausolées de la grande mosquée de Djingareyber de Tombouctou. Ils tirent en l’air pour chasser la foule, pour lui faire peur », a déclaré un des témoins, un autre ajoutant qu’ils utilisaient « des houes » et « des burins ».

La mosquée de Djingareyber est l’une des trois principales mosquées de Tombouctou avec celles de Sidi Yahia et Sankoré, toutes trois classées par l’UNESCO au patrimoine de l’humanité, aujourd’hui en péril.

Les 1er et 2 juillet, Ansar Dine avait déjà détruit sept des seize mausolées de Tombouctou et brisé la porte sacrée de la mosquée Sidi Yahia, provoquant l’indignation au Mali et à l’étranger. Les destructions avaient été interrompues, mais Ansar Dine avait promis qu’elles reprendraient.

Lire l’entretien : « Mali : ‘Pour les intégristes, vénérer un saint, c’est porter atteinte à Dieu' »

Dans une résolution adoptée le 5 juillet, le Conseil de sécurité de l’ONU a appelé à des sanctions contre les rebelles du nord du Mali qui s’allieraient à Al-Qaida et avertit aussi les islamistes qui ont détruit des mausolées musulmans à Tombouctou qu’ils pourraient être traînés devant la Cour pénale internationale (CPI). Le texte souligne que de telles attaques contre le patrimoine culturel ou religieux « peuvent constituer des violations des lois internationales », aux termes du statut de Rome, qui a créé la CPI, ainsi que des conventions de Genève.

Silence, on démolit. Dans Tombouctou interdite depuis que les groupes armés salafistes l’ont envahie début avril, les destructions de mausolées et de lieux saints de l’islam se poursuivent à huis clos. Les Touareg ont fui, journalistes, travailleurs humanitaires et observateurs étrangers sont bannis, les habitants se terrent chez eux, trop effrayés pour oser témoigner par téléphone sous leur nom.

Tombouctou, « la perle du désert », ville mythique du Mali aux confins du delta intérieur du fleuve Niger et du Sahara, tremble sous les coups de pioche et la furie destructrice des nouveaux maîtres de la région. En quelques mois, les groupes islamistes radicaux ont pris possession de cet immense territoire du nord du Mali et, profitant notamment de la faiblesse du pouvoir central, fragilisé par un coup d’Etat le 22 mars à Bamako, ont imposé leur loi. Cette loi, c’est la charia. Un moment alliés, les rebelles touareg ont été débordés et chassés. L’alcool a été interdit, les bars fermés, les maisons des chrétiens pillées, les femmes mises au pas.

Depuis une semaine, les salafistes – dont il est difficile d’établir avec certitude s’ils relèvent d’Al-Qaida au Maghreb islamique ou du groupe malien Ansar Eddine – s’attaquent aux mausolées de la « cité des 333 saints ». Sept, peut-être huit, de ces monuments ont déjà été détruits. Pour ces salafistes, le culte ancestral des saints, que pratiquent les musulmans soufistes de la région, porte atteinte à la pureté du culte de Dieu. Le salafisme, version puritaine wahhabite de l’islam sunnite fondée en Arabie saoudite, ne s’accommode pas de cette religiosité populaire et entend l’éradiquer.

Grand centre intellectuel de l’islam depuis sa création au XIIe siècle, Tombouctou, inscrite au Patrimoine mondial de l’Unesco, abritait à partir du XVe siècle une des plus prestigieuses universités du monde musulman, celle de la mosquée de Sankoré. Une collection unique de manuscrits de cette époque a été reconstituée ces dernières décennies. Elle abrite quelque 30 000 documents, rassemblés au sein du Centre de documentation et de recherche islamiques Ahmad Baba, qui, selon certaines informations, aurait également été saccagé.

Cette offensive rappelle inévitablement l’obscurantisme des talibans et la destruction des statues de bouddhas de Bamiyan, en Afghanistan. Ce ne sont pas seulement les mausolées de Tombouctou qui sont, aujourd’hui, menacés par ces groupes armés intégristes. C’est tout l’héritage d’ouverture et de tolérance de l’islam de cette région, c’est la liberté de choix de ses habitants. « L’enjeu, souligne très justement l’anthropologue Gilles Holder, ce n’est pas les mausolées, c’est la charia. »

Les pays occidentaux et arabes qui ont participé à l’intervention en Libye ne peuvent assister à cette offensive les yeux fermés. Elle est la conséquence indirecte de l’afflux d’armes provoqué par la guerre en Libye dans la région, qui attire à présent les extrémistes de tous bords. La préservation de Tombouctou et de ses symboles est la responsabilité de tous.

Thierry Barbaut

Sources Lemonde.fr