Alban Luherne, directeur d’Orange Money évoque l’évolution vers le statut d’établissement de monnaie électronique, et l’écosystème d’Orange Money en Afrique

Alban est Directeur Orange Money pour la zone Afrique, Moyen-Orient – Asie du Groupe Orange depuis 2013
Alban est Directeur Orange Money pour la zone Afrique, Moyen-Orient – Asie du Groupe Orange depuis 2013

Alban Luherne, directeur d’Orange Money évoque l’évolution vers le statut d’établissement de monnaie électronique, et l’écosystème d’Orange Money en Afrique

Thierry Barbaut directeur de l’agence Stratégie Afrique et expert nouvelles technologies a recueilli les propos d’Alban Luherne directeur d’Orange Money au siège d’Orange à Paris. Des éclaircissements sur les stratégies du groupe dans les domaines du mobile Banking de la bancarisation et des stratégies e-commerce de l’opérateur historique.

Alban est Directeur Orange Money pour la zone Afrique, Moyen-Orient – Asie du Groupe Orange depuis 2013
Alban est Directeur Orange Money pour la zone Afrique, Moyen-Orient – Asie du Groupe Orange depuis 2013

Thierry Barbaut : Avec le succès en Afrique du Mobile Banking et de la solution de m-paiement Orange Money, Laurent Paillassot, directeur de la relation client Orange évoquait en Juin la création d’un « écosystème Orange en Afrique” tout laisse à penser qu’Orange pourrait se transformer en banque ?

Dans la même thématique les banques traditionnelles ne parviennent pas à démocratiser les services financiers et c’est ainsi que le mobile devient l’outil de service.

Alban Luherne: Il faut tout d’abord évoquer quelques chiffres : Orange Money est présent dans 13 pays en Afrique et au Moyen Orient, avec plus de 14 millions de clients qui ont généré en 2014 plus de 4,6 milliards d’euros de transactions pour un chiffre d’affaire de 49 millions d’euros. Les ambitions sont d’atteindre 200 millions d’euros et 30 millions de clients à horizon 2018.

Orange Money a réussi son développement en Afrique parce que les banques ne sont pas dimensionnées pour adresser des millions de clients à faible revenu, les taux de bancarisation au niveau du continent ne dépassent pas 10% dans la plupart des pays, au sein d’un pays le nombre d’agences dépasse rarement la centaine. Sur notre métier d’opérateur, nous savons adresser ces clients grâce à nos dizaines de milliers de point de ventes Nous sommes donc en mesure d’apporter via le mobile des services financiers, nous avons donc le pouvoir et quelque part le devoir de jouer notre rôle afin de démocratiser l’accès aux services financiers en Afrique.

Allons-nous devenir une banque ? Aujourd’hui Orange en Afrique n’est pas une banque, elle n’en a pas le statut, mais dans chaque pays où nous sommes implantés nous avons une banque partenaire qui émet la monnaie électronique pour nous.

Thierry Barbaut : Comme la BOA (Bank Of Africa) ?

Alban Luherne : Exactement ! la BOA est notre banque partenaire au Niger, bientôt en RDC.. Nous avons également annoncé que dans le cadre de la nouvelle directive de la BCAO Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest, nous sommes en train de devenir “établissement de monnaie électronique”. C’est en cours en Côte d’Ivoire, au Mali et au Sénégal. Ce que nous percevons également c’est que le régulateur bancaire voyant l’essor du mobile money, veut pouvoir avoir une interaction directe et non par le filtre de la banque, avec les opérateurs de mobiles money.

« Orange fait un pas crucial vers le statut d’émetteur de monnaie électronique en Afrique »

Thierry Barbaut : Donc aujourd’hui un écosystème de partenariats bancaires dans les différents pays, mais un pas réel vers la métamorphose d’Orange en Banque sur l’Afrique de l’Ouest ?

Alban Luherne :Avec les banques, nous tavaillons selon deux axes : le premier est l’émission de la monnaie électronique, le deuxième réside sur les partenariats commerciaux. Il faut comprendre qu’au tout début du mobile money nous pensions adresser les plus faibles revenus. C’est toujours le cas, mais nous constatons que Orange Money attire de plus en plus de clients bancarisés . Nous considérons aujourd’hui faire en quelque sorte le lien entre les clients bancarisés et ceux qui ne le sont pas ! Nous nouons donc des partenariats avec les banques, permettant à nos clients de faire des virements entre leur compte bancaire et leur compte Orange Money de ce type avec des banques, afin de répondre à une demande croissante. Ce lien entre l’établissement bancaire et le portefeuille mobile est primordial.

Cela offre un nouveau moyen de paiement aux clients des banques, et finalement une extension de leur réseau puisque le client bancarisé pourra recharger son compte mobile et donc de facto son compte bancaire dans les points de vente Orange Money. Nous revenons ainsi à la force que constitue la capillarité de notre réseau : nous disposons par exemple au Mali de 15 000 points de vente à ce jour ce qui est colossal !.

Thierry Barbaut : Ce sont donc les points de vente « physiques » qui permettent finalement cette croissance d’Orange Money en synergie avec les banques !

Exactement, les deux sont parfaitement complémentaires, et le réseau physique et sa répartition géographique dont nous disposons en tant qu’opérateur est un de nos principaux atouts !

Thierry Barbaut : Les taux de crédit restent néanmoins trop élevés en Afrique, jusqu’à quatre fois supérieurs à l’Europe, pensez-vous que la démocratisation de la révolution du Mobile Banking permettra à ces taux de baisser et ainsi aux populations de bénéficier des services bancaires ?

Alban Luherne :Nous constatons que les premiers produits et services répondaient aux besoins de transfert, et par extension, de paiement à distance. Ensuite, nous nous intéressons aux produits et services financiers à proprement parler : épargne, crédit mais aussi assurance. Sur le crédit, nous avançons de manière raisonnée et prudente car c’est un nouveau métier et là aussi nous développerons des partenariats avec des banques. Nous constatons que la demande porte beaucoup sur des crédits de petites sommes et sur des durées très courtes, donc quelque part nous adresserons ici un besoin qui n’est pas couvert par les banques, et qui l’est avec des taux très élevés par le secteur informel.…

« Le mobile money va permettre l’accès au crédit à des populations qui étaient de fait exclues du crédit formel »

Thierry Barbaut : Assistons-nous à une concurrence entre les banques traditionnelles qui peinent à se développer et le Mobile Banking qui va jusqu’à représenter par exemple 30% du PIB du Kenya en terme de transactions en 2014 ?

Alban Luherne :Aujourd’hui, le montant maximal des transactions par exemple à Madagascar est de 5 millions d’Ariary soit 1 370 euros et deux fois par jour, c’est une somme considérable ! Néanmoins le montant money de la transaction est d’environ 20 euros en Afrique, mais il est très variable selon les usages : il est relativement faible lorsqu’il s’agit d’achat de crédit téléphonique, et dépasse les 50 euros lorsqu’il s’agit de transfert international des diasporas vers leurs familles restées au pays..

« Les banques traditionnelles et les opérateurs de mobile money restent et resteront complémentaires pour répondre à tous les usages des consommateurs Africains »

Je reprends ici l’exemple de Madagascar où la plus grande banque dispose de moins d’une centaine d’agences, et Orange Money de plus de 2.500 points de vente… Néanmoins il y a une véritable complémentarité car le mobile Money ne pourra pas répondre à l’ensemble des usages. Les banques sont loin de disposer des structures leur permettant de conquérir massivement les clients. Elles garderont aussi la dimension conseil et service primordiale lors des opérations financières de grande ampleur.

Un point clef est aussi le développement des usages dans le BtoB, ce que ni nous, ni nos concurrents n’avions imaginé au début du mobile money. Nous assistons à une hausse significative des opérations entre professionnels et cela ouvre de nouvelles perspectives. Notre conviction chez Orange c’est que la croissance passera aussi par le BtoB. Par exemple le commerçant qui utilise Orange Money va vouloir payer ses taxes, ses fournisseurs, des transports, et va aussi finalement vouloir vendre ses produits par Orange Money et ainsi faire croitre son chiffre d’affaire.

Thierry Barbaut : Finalement Orange Money et le Mobile Banking en général touche toutes les strates de la société, ce phénomène issu des transactions entre particulier se démultiplie vers le business et ainsi prend des proportions inattendues ?

Alban Luherne :Tout à fait. Les professionnels qui n’étaient pas notre cible initiale utilisent Orange Money et en sont très satisfaits. Nous faisons évoluer le service en permanence pour répondre, notamment, aux besoins spécifiques des professionnels tels que l’émission d’un reçu.

Thierry Barbaut : Justement, serions-nous en marche vers une économie plus formelle en matière de transaction, ce qui serait une révolution en Afrique ou 70% de l’économie locale est considérée comme informelle ?

Alban Luherne :Le mobile money répond d’une part à un enjeu fort de sécurité des échanges, qui est déjà actuellement une révolution pour des millions d’agents économiques qui ne transportent plus des liasses de billets avec toute l’insécurité et les risques que cela comporte, mais peuvent dissimuler leurs cartes SIM contenant leurs recettes en toute tranquillité !Le second enjeu du mobile money est la traçabilité des échanges financiers.

Le mobile money permet donc de rendre formel des flux qui, par les moyens traditionnels étaient informels. Il y a donc un intérêt certain pour les gouvernements, sur un continent ou le taux de croissance annuel moyen s’établit autour de 5%. La collecte des taxes par mobile money, par exemple, est un axe qui intéresse beaucoup les Etats..

Thierry Barbaut : Les chiffres du Mobile Banking sont colossaux, le Kenya par exemple fait 30% de son PIB en transactions mobile, c’est le record mondial !

Alban Luherne :C’est exact, le Kenya a révélé ce mode de paiement et fait figure de leader mondial en mobile paiement mais il ne faut pas négliger les pays d’Afrique de l’Ouest notamment. Au Mali, par exemple, le montant total des transactions réalisées via Orange Money représente déjà plus de 20% du PIB.

« Orange lancera son API (Interface d’Application Programme) Orange Money en 2015 pour développer le e-commerce en Afrique en mettant un système simple à portée de tous les entrepreneurs qui souhaitent vendre en ligne »

Thierry Barbaut : Ces applications cruciales pour les millions d’Africains amènent aussi le sujet du commerce électronique où nous voyons un essor colossal des plateformes comme Jumia ou Cdiscount.

Dans un cadre plus large Orange Money pourrait être un moyen de connecter les millions d’agriculteurs aux plateformes de e-commerce, le Mobile Banking a finalement un rôle capital dans l’économie du continent Africain ?

Alban Luherne :Je peux vous annoncer que nous allons mettre à disposition bientôt permettre des entrepreneurs du e-commerce notre module de paiement Orange Money. Cela existe déjà sur les versions ivoirienne, sénégalaise et camerounaise du site Cdiscount.com.

Thierry Barbaut : Donc un système simple de e-commerce couplé à Orange Money permettant aux entrepreneurs de vendre leurs produits avec du commerce électronique ?

Alban Luherne :Oui, ce sera un levier fort de développement pour Orange Money en Afrique et un service formidable pour les entrepreneurs. Cela permettra clairement de débloquer les freins au e-commerce en Afrique que sont notamment le paiement sécurisé, Orange apportant par ailleurs des réponses aux freins techniques (l’accès au réseau et à des terminaux bon marché).

Thierry Barbaut : Plus de partenariats aussi avec les leaders du e-commerce en Afrique ? Une application liée au succès du « click & collect » ?

Alban Luherne :Nous sommes partenaire de Cdiscount au Sénégal, Côte d’Ivoire et Cameroun avec Orange Money. Orange se doit d’accompagner les entrepreneurs et de favoriser l’innovation.

Thierry Barbaut : Comment percevez-vous l’évolution du mobile en Afrique et notamment la future démocratisation de l’usage des Smartphones qui ne sont aujourd’hui représenté qu’à hauteur de 12% ?

Alban Luherne :Le Smartphone va être un véritable booster pour le Mobile Money, il représente des taux de croissance très fort et nous proposons des produits adaptés comme le Klif que nous commercialisons autour de 30 euros avec un forfait data Le Pixie sous Android en 2013 a déjà connu un large succès.

Dans tous les cas, le Smartphone permet une utilisation plus ergonomique d’Orange Money. Il démocratise aussi les usages en permettant aux gens touchés par l’illettrisme de pouvoir utiliser ces systèmes grâce aux icônes intuitives.

Thierry Barbaut : Orange Money c’est une des grandes succès story d’Orange en Afrique et cette solution est née sur le continent, Orange s’en inspire pour la France ?

Alban Luherne :En capitalisant sur notre présence en Afrique d’une part et en Europe et notamment en France d’autre part, nous allons en effet proposer ces services aux diasporas notamment pour leurs transferts d’argent vers leurs pays d’origine..

Thierry Barbaut : Pour terminer quels sont pour vous les grands enjeux liés au développement du Mobile Banking ? Le micro-crédit et la micro-assurance ?

Alban Luherne :Ce sont effectivement les deux secteurs sur lesquels nous expérimentons déjà des solutions comme au Sénégal sur une offre d’assurance avec Allianz par exemple. Ces initiatives émergent ; nous sommes donc en pleine étude. Un autre point crucial est l’interopérabilité domestique. C’est un pas important pour le développement des usages qui ne doit pas être réalisé tant qu’une base significative d’utilisateurs n’est constituée. L’autre point clé reste la démarche que nous avons engagée pour devenir émetteur de monnaie électronique en Afrique de l’Ouest. Cette évolution marquera un cap important pour le développement d’Orange Money en Afrique.

thierry-barbaut - info-afrique.com

Thierry Barbaut

Directeur de l’Agence Stratégie Afrique
en exclusivité pour Info Afrique

Thierry BARBAUT
Thierry Barbaut - Directeur des financements solidaires chez 42 www.42.fr - Spécialiste en nouvelles technologies et numérique. Montage de programmes et de projets à impact ou les technologies et l'innovation agissent en levier : santé, éducation, agriculture, énergie, eau, entrepreneuriat, villes durables et protection de l'environnement.