Maquis et insalubrité

Insalubrité des espaces gastronomiques en Côte d’Ivoire

Fin des années 1970. La crise économique commence à frapper la Côte d’Ivoire, suite à la chute drastique du prix des matières premières. Le président Félix Houphouët-Boigny parle de détérioration des termes de l’échange. Il annonce à ses compatriotes la fin de l’État providence. Et les invite, conséquemment à s’engager dans l’entreprise privée, jusque-là, timide. Les femmes commencèrent alors à s’engager dans l’activité de restauratrice.

Il s’agissait ici de faire à manger à des personnes qui n’avaient pas les moyens de manger dans les restaurants classiques. Elles recevaient cette clientèle réduite à des connaissances et amis, à domicile, transformant le salon ou la cour de la concession en espace gastronomique privé et non ouvert au grand public : d’où l’appellation de maquis qui désigne une cachette où l’on opère de manière clandestine. La clandestinité ici, c’était le fait de manger dans un espace intime, discret.

« Maquis lô, maquis lô, lô è bé di min » (C’est au maquis qu’il y a la vie)

Le phénomène prendra vite de l’ampleur et deviendra un véritable fait social. Dans toutes les villes de la Côte d’Ivoire, tous les quartiers, naissent des espèces de restaurants tropicaux. Jimmy Hyacinthe, un excellent musicien de cette époque sortira d’ailleurs un album discographique intitulé « Maquis lô » (au maquis). Il dit dans cette chanson : « Maquis lô, maquis lô, lô è bé di min » (C’est au maquis qu’il y a la vie). Mais voilà, si les maquis sont des endroits de retrouvailles et de jouissances gastronomiques, ils inquiètent aussi dans leur aspect virtuel : ils sont de hauts lieux d’insalubrité.

L’insalubrité

La première chose qui frappe  quand on rentre dans un maquis, c’est le déficit d’hygiène. Dans l’ensemble, ce sont des lieux délabrés. Chaises et tables branlantes, murs décrépis. Pis, ce sont des lieux à la propreté douteuse. Serviettes de tables sales, des arêtes de poissons et des os traînent sur les tables et au sol. Partout dans le lieu qui sert de salle à manger, des déchets. Rien de cela ne dérange les clients qui éprouvent du plaisir à se retrouver.

Plusieurs maux minent ces endroits : absence de toilettes, flaques d’eau débordantes aux alentours des restaurants, personnel ne disposant pas d’uniformes de travail, des déchets à même le sol, de l’eau usée, des mouches sur les plats posés au sol, etc.

C’est le spectacle désolant qu’il est donné de voir dans les nombreux espaces gastronomiques infectes qui pullulent dans les quartiers et communes d’Abidjan et de l’intérieur du pays. En dépit de cet état d’insalubrité, ces endroits ne manquent pas de clients. Enfants, adolescents et adultes y affluent à toute heure pour s’offrir qui, le petit déjeuner, le déjeuner ou le dîner.

Koumassi. Quartier dénommé Saint-François. Ici, se trouve un maquis communément appelé « au baoulé ». Un espace qui draine du monde tous les jours surtout les week-ends. Aux alentours, l’eau usée qui a détruit l’infrastructure routière, les mauvaises odeurs, etc., ne dérangent pas les clients. « Microbes ne tuent pas Africains », affirme Attoungbré Kouadio interrogé sur l’état des lieux.

Toujours à Koumassi. Quartier Sopim. Le secteur dénommé caniveau. Juste à côté d’un grand caniveau de plusieurs mètres, une buvette, un bar climatisé et des vendeuses d’attiéké et alloco.

L’odeur pestilente et insupportable ne semble pas déranger les clients qui affluent à longueur de journée, donnant l’impression d’une complicité tacite avec l’insalubrité qui règne dans les lieux.

Faisant fi des maladies et tout ce que cela comporte. La bière et le vin coulent à flot. Ils dégustent avec délectation l’attiéké au poisson. « Cela fait plusieurs années que nous mangeons ici. Nous n’avons jamais contracté de maladie du fait des ordures et des odeurs nauséabondes venant du caniveau. Et puis que pouvons-nous faire si les autorités ne s’en préoccupent pas » ? dit Benjamin Konaté, un fidèle parmi les fidèles.

Non loin de cet endroit, sur le même alignement, une femme gère un restaurant de fortune au bord du trottoir. Dans cette cabane qui sert d’abri, des tables et des chaises noircis par la fumée du feu de bois. Les tables, les marmites et les casseroles ne dérogent pas au spectacle classique que servent les maquis : mouches qui pullulant sur les repas et dans les assiettes, serviettes de tables sales, nappes de table tout aussi malpropres. La serveuse tente tant bien que mal de chasser les mouches à l’aide d’un chasse mouches usé et, conséquemment, inefficace.

L’inconfort le plus fréquent auquel il faut faire face dans les maquis, est le manque de toilettes ; quand il y en a, c’est un lieu des plus infectes qui vous attend et où il vaut mieux s’abstenir de faire quelque besoin que ce soit (urines et selles), sinon vous risquez de choper une infection. Aussi, n’est-il pas rare de voir les hommes surtout, uriner dehors, juste à côté du maquis, dans le caniveau d’à côté, le sexe offert au regard de tous, dans l’indécence absolue et l’indifférence alentour.

Tout cela donne l’impression que les ‘’maquisards’’ eux-mêmes se sont accommodés de l’insalubrité, à tel point que d’aucuns se permettent de penser que l’insalubrité est consubstantielle au maquis. Anatole Kouassi n’hésite pas à me dire que : « C’est quand un maquis est sale qu’il est intéressant. Quand c’est propre, ce n’est plus un maquis, c’est un restaurant ! » On m’a ainsi cité l’exemple d’un maquis qui a perdu sa clientèle depuis le jour où il a fait peau neuve, son propriétaire ayant repeint les lieux, installé deux salles de toilettes correctes, changé les nappes de tables, et amélioré la qualité hygiénique du service !

On s’accoutume ainsi à l’insalubrité dans des espaces dévolus à la restauration. La culture gastronomique s’accouple alors avec celle de la malpropreté qui devait, en principe, lui être incompatible.

Il faut inscrire l’assainissement des espaces gastronomiques au programme d’ensemble de lutte contre l’insalubrité. La destruction des ghettos, la démolition des constructions anarchiques, des bars et de maquis en bordure de route, ne suffit pas à éradiquer le mal.

Il faudrait certainement songer à mettre à contribution les mairies des communes, en leur imposant un calendrier de contrôles suivis de la salubrité dans les maquis. Il faudrait surtout penser à imposer des sanctions aux contrevenants : verbalisation, taxes municipales relativement élevées pour déficit de salubrité, suspension d’activité et, en cas de récidive, interdiction ferme d’exercer toute activité de restauration.

 

Elisabeth Goli
Journaliste sportif, 16 ans d’expérience. Présidente de l’Union des femmes reporters sportifs d’Afrique (Ufresa). Membre de l’Association internationale de la presse sportive (AIPS). Initiatrice des Awards de la meilleure sportive africaine. Chevalier dans l’ordre du mérite sportif ivoirien.