L’impact sur la société de la téléphonie Mobile en Afrique

Dans le système de boucle retour, les téléphones mobiles en Afrique ont contribué à développer de nouveaux usages. Certains sont directement liés aux contacts téléphoniques (les « bip » d’appels) ou à l’éco-système.

Le succès, incomparable notamment en Europe, du m-paiement avec des offres comme m-pesa ou Orange Money illustre ce phénomène. D’autres modèles de partage du téléphone ou de prêts de minute renvoient à des usages séculaires en Afrique comme les tontines. Au-delà, les utilisateurs ont développé de vrais usages nouveaux qui utilisent les télécoms comme moyen de répondre à des usages précis. Un cas typique est celui de la mise en place de systèmes d’enchères pour la vente de poissons (phénomène constaté au Sénégal, au Kenya et au-delà de l’Afrique en Asie du Sud Est). Un double phénomène s’est produit.

D’une part, ce sont les pêcheurs qui ont commencé dès 2005 à négocier le prix de leur cargaison par SMS auprès des différents marchés s’évitant ainsi le transport fastidieux (et risqué) d’un marché à l’autre. Cet usage du téléphone de négociation des prix entre pécheur et marchand s’est ensuite déplacé, notamment depuis 2010, vers le consommateur final. Il est de plus en plus fréquent qu’un chef de famille (ou de tribu ou de village) récolte l’ensemble des besoins d’un groupe de personnes en poisson (X kilos de Capitaine, Y kilos de Daurade, Z kilos de sole), puis envoie un SMS à une liste de 5 à 10 marchands de poissons ambulant en leur indiquant la composition du « panier », date et lieu de livraison de la cargaison et demande en retour un prix.

Celui qui proposera le meilleur prix par SMS recevra en retour un message de confirmation. Le marché du poisson en amont et en aval (notamment dans certaines zones éloignées de la mer) est donc devenu un marché d’enchère par SMS ! Un usage structurant pour la profession et pas forcément imaginé il y a 15 ans !

Il existe également un grand potentiel de développement lié à l’usage du mobile dans certains secteurs qui contribuent au développement sociétal des pays africains. L’éducation et la santé s’inscrivent dans cette logique.

Prenons tout d’abord le cas de l’enseignement. Compte tenu de la faible densité de professeurs et d’établissements scolaires dans la majeure partie des pays d’Afrique, la formation à distance constitue un levier important pour le développement de l’éducation. Les enjeux sont de taille puisque l’Afrique subsaharienne connaît des taux d’alphabétisation particulièrement faibles. En effet, ce ratio est de 23% au Mali contre 88% en Afrique du Sud d’après l’UNESCO. Le téléenseignement permettrait de combler ces besoins en redéfinissant les contraintes géographiques, humaines ou budgétaires. Ce système augmente les chances d’accès à la formation des étudiants défavorisés.

Grâce au réseau de téléenseignement mis en place à l’université du Natal en Afrique du Sud, le nombre d’étudiants inscrits en sciences de l’éducation est passé de 491 à 3 810 en cinq ans, selon la Banque Mondiale. L’Université Virtuelle Africaine (UVA) constitue un autre exemple réussi du téléenseignement.

L’université virtuelle africaine forme des scientifiques, des ingénieurs, des techniciens, des hommes d’affaires et des professionnels capables de contribuer au développement de leur pays. Ces formations scientifiques et techniques, transmises par satellite, permettent de combler le déficit de matériel et de professeurs. Plus de 9000 étudiants dans toutes les régions de l’Afrique subsaharienne ont pu bénéficier de ces nouvelles méthodes éducatives. Grâce à ce succès, l’UVA a pu établir près de 22 partenariats avec d’autres universités de l’Afrique subsaharienne.

La définition du contenu de l’enseignement découle des attentes en éducation des pays. Compte tenu des disparités fortes entre les régions, le téléenseignement peut avoir soit un contenu de niveau supérieur via des formations universitaires ou une formation continue, soit des formations plus élémentaires avec un enseignement de base (lecture et écriture). Les besoins en formation seront donc à déterminer en fonction des caractéristiques locales reflétées à travers certaines données sociodémographiques : le taux d’alphabétisation, l’indice de développement humain, l’espérance de vie et le taux d’urbanisation. Ainsi, les contenus oraux seront privilégiés dans les zones où le taux d’alphabétisation est trop bas.

Concernant le support technologique, il devra être le plus simple d’accès, le moins coûteux et le plus adapté au contexte socioéconomique. Les supports de formation les plus appropriés à la population seront déterminés en fonction de leur accessibilité via les moyens technologiques envisageables à court terme. A titre d’illustration, une formation via Internet est difficile à concevoir dans les régions où les technologies du haut débit ne sont pas encore déployées.

Le prix de l’accès à la technologie choisie est également un point critique dans l’adoption du système mis en place. Le téléenseignement présente un certain nombre de bénéfices dans le contexte africain. D’abord, il permet de toucher aussi bien des étudiants dans les villes que dans les zones difficilement accessibles. Cette méthode de formation permet de pallier les problèmes de transport souvent lent et pénible. Les participants peuvent garder leur emploi à mi-temps pour subvenir à leurs besoins.

Ensuite, les formations en ligne facilitent les échanges entre les étudiants de diverses régions voire de différents pays ce qui favorise le réseautage. Enfin, les étudiants se familiarisent avec les outils informatiques mis à leur disposition ce qui va leur servir par la suite dans le monde professionnel.[1]

Le domaine de la santé

Le cas de la santé est aussi intéressant à étudier. Le secteur de la Santé a également été touché par l’utilisation des télécoms. De manière générale, ces nouvelles technologies peuvent subvenir à de nombreux besoins dans ce secteur, en améliorant l’échange de données et la communication à distance. C’est ici la valeur clé des télécoms et qui peut permettre des gains de productivité significatifs en améliorant sensiblement l’échange d’information.

Ainsi, les patients peuvent, avant de se déplacer, se renseigner sur le lieu / l’horaire du dispensaire ou la disponibilité des médicaments ou encore demander des conseils au médecin. De manière plus générale, à chaque maillon de la chaîne du soin, la communication à distance joue un rôle important. Le soin ne s’arrêtant pas au diagnostic, toute la chaîne doit être considérée, depuis la prévention jusqu’au traitement et à l’amélioration continue (médicaments, formation, etc.).

Autre service mis en place au Kenya permet aux patients et au personnel médical de vérifier si les médicaments sont authentiques. Il suffit d’envoyer par SMS le code à 12 chiffres, caché sur une vignette à gratter apposée sur la boite du médicament. En retour, l’utilisateur reçoit la réponse « OK, genuine medecine », ou « NO, code is not avalid code », accompagnée du numéro de téléphone du laboratoire pour dénoncer la supercherie. Une solution simple et ingénieuse pour repérer les contrefaçons qui peuvent représenter un réel danger. Entièrement gratuite pour l’utilisateur final, c’est Orange qui fournit l’infrastructure tandis que le coût du SMS est pris en charge par les laboratoires pharmaceutiques.

Autre exemple intéressant à citer, la solution de « mobile-learning » comprenant un module dédié à la santé (WapEduc[2]). Ce système s’adresse aussi bien aux étudiants en leur donnant accès à des contenus à caractère éducatif et informatif sur des questions de santé (l’échange d’information peut être éventuellement interactif), qu’aux professionnels de santé qui bénéficient de la possibilité de faire passer des messages de prévention et d’alerte.

Ce projet émane d’un besoin de capitaliser sur l’utilisation des TIC par les étudiants pour diffuser des contenus liés à la santé. Pour accéder à cette solution, l’utilisateur a besoin de se munir d’un téléphone portable. Les contenus éducatifs mis à disposition sont spécialement construits pour les mobiles. Un partenariat avec une association de professionnels de la santé permet d’assurer la pertinence du contenu. Néanmoins, pour la pérennité de ce service, le soutien du gouvernement local et plus particulièrement du ministère de la santé est nécessaire afin de légitimer le contenu pour des raisons déontologiques et parfois légales[3].

1 Pour plus de détails sur les impacts des télécoms en Afrique subsharienne lire : Henri Tcheng, Jean-Michel Huet et Mouna Romdhane, Les enjeux financiers de l’explosion des télécoms en Afrique subsaharienne, note de l’IFRI , février 2010

2 WapEduc a été lancé en France d’abord comme système éducatif par mobile. Son créateur, Philippe Steger, a décidé en 2009, de développer son service sur les pays africains. Le premier pays pilote est le Sénégal.

3 Pour plus de détails sur les options de technologies liées à l’éducation en Afrique lire Tcheng, H., Huet, J-M., Romdhane, M., Roubaud, J., « Le télé-enseignement, un espoir pour l’Afrique ?», Journal des télécoms, , n° 200, p. 55, octobre 2009. En particulier, pour l’aspect sensibilisation des populations, les enjeux de formation et diffusion des « bonnes pratiques ou gestes simples de santé » promus par l’OMS et l’UNICEF, il est montré que les TICs peuvent apporter un soutien et en particulier la radio et le téléphone mobile qui sont les deux « terminaux » les plus répandus en Afrique (la radio en zone rurale, le téléphone mobile en zone urbaine, les autres moyens comme la télévision ou le PC étant loin derrière).

Thierry BARBAUT
Thierry Barbaut - Directeur des financements solidaires chez 42 www.42.fr - Spécialiste en nouvelles technologies et numérique. Montage de programmes et de projets à impact ou les technologies et l'innovation agissent en levier : santé, éducation, agriculture, énergie, eau, entrepreneuriat, villes durables et protection de l'environnement.